GOOD LORD (Oh Lord ! Tome 3) Laure Elisac, tous droits réservés Extrait 3

Dimanche 02 juillet 2017


Le feuilleton de l'été :
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Extrait 3

 

Jeudi 12 mai 2011, Belgravia, Londres

 

Lawrence posa son journal. Spencer rentrait du parc avec Nejma, le babil de la petite résonnait dans l’entrée et jusqu’au salon dans lequel il était installé. Le français, dans la bouche de l’enfant, sonnait comme un torrent d’eau clair se heurtant à une mer de rochers, et, comme le torrent, son débit se révélait intarissable. Sonia leur avait expliqué que l’inquiétude déclenchait cette avalanche verbale, qu’il fallait multiplier les contacts physiques pour la rassurer. Le problème était que Spencer la touchait comme on tâte une haie pour vérifier qu’elle n’est pas électrifiée.
Elle était arrivée cinq jours plus tôt, pendant le week-end, et comme le dimanche soir, à son retour du Kent, Lawrence était resté dormir chez Sonia, il ne l’avait rencontrée que lundi, après sa journée à l’hôpital. 
Ce qui frappait, au premier abord, quand on découvrait la fillette, c’étaient ses cheveux roux et crépus, comme du crin en feu. Ensuite, on remarquait sa peau mate, là où on attendait un teint de porcelaine, son menton en pointe et, enfin, un regard rusé qui détonnait avec la petitesse de son corps. Le tout lui donnait des airs d’elfe malfaisant, sorti d’un film expressionniste allemand. Impossible de la qualifier de jolie, mais en l’observant de près, on distinguait deux yeux pers, teinte versatile aux reflets bleus, gris et verts, nommée ainsi en souvenir des poteries du golfe persique. Lawrence avait tenté de lui raconter l’origine de cette couleur en français, mais soit son accent souffrait d’un manque d’entraînement, soit il avait perdu ses bases de grammaire, car elle s’était contentée de répondre : « Aye donte pik ingliche ». C’était ainsi qu’elle avait accueilli toutes ses tentatives d’approche, de « Est-ce la première fois que tu montais dans un avion ? » à « As-tu faim ? » et « As-tu soif ? » Il avait posé cette dernière question en anglais, par inadvertance et l’enfant avait scruté les contours de la carafe, avant de servir sa litanie habituelle. 
Il avait décidé d’en rester là puisqu’elle avait besoin de temps pour se laisser apprivoiser, mais hélas, c’est elle qui était venue le provoquer, et il devait maintenant avoir une petite explication avec elle.
Il patienta quelques minutes, le temps qu’ils quittent leurs chaussures et leur veste, puis il se pencha par-dessus la rampe pour appeler Spencer. Celui-ci redressa la tête, manquant de se dévisser le cou.
– Pouvez-vous prier Nejma de me rejoindre au salon, s’il vous plaît ?
Il vit le majordome se raidir subrepticement. Instinct paternel ? Ou était-il au courant de l’incident ? Improbable, il aurait déjà réglé la situation. 
– Rien de spécial, précisa Lawrence pour l’apaiser, mais il est venu le moment de faire connaissance, tous les deux. 
– Bien milord, acquiesça-t-il en hochant la tête cérémonieusement.
Il se baissa vers sa fille pour lui murmurer quelques mots à l’oreille, lui retira le ballon qu’elle serrait devant elle, avant de la pousser dans la montée d’escalier. Lawrence attendit volontairement debout, en haut de la volée. Il était grand, un mètre quatre-vingt-huit, et il ne fit rien pour paraître moins imposant à la fillette. Les premières marches passées, cette dernière releva le menton et pinça ses lèvres inexistantes, dans une moue effrontée. Lawrence en conclut deux choses : la première, c’était qu’à cinq ans, elle avait conscience qu’elle ne possédait pas les atouts nécessaires pour minauder, et la deuxième, que cette conscience constituait le signe d’une vive intelligence. Le lutin gravit l’intégralité des marches sans le quitter des yeux. Il salua la performance. Cette gosse avait du cran, à défaut d’honnêteté.
Il l’invita à le suivre, mais ne lui proposa pas de s’asseoir. De son côté, il choisit le coin de l’accoudoir du canapé, plus par pitié pour les vertèbres cervicales de la gamine que par clémence. De toute façon, même ainsi, il la dominait. La petitesse de ses membres, surtout ses mains, le troublait. Elles avaient la taille de celles d’un bébé, mais sans les rondeurs adorables.   
– Nejma, commença-t-il en anglais, ton père t’a-t-il fait visiter toute la maison ?
– Aye donte pike…
– Je ne te demande pas de parler ma langue, tu peux me répondre dans la tienne, la coupa-t-il.
Cela la désarma. Il la vit réfléchir. Elle lui rappelait les rats de laboratoire et il se plut à endosser le rôle du savant observant son expérience. Elle comprenait son anglais.
Elle secoua la tête en signe de négation.
– Non ? dit Lawrence, en prenant soin d’articuler. « Non, papa ne m’a pas fait visiter toute la maison », ou « non, je ne veux pas répondre » ?
Elle déglutit.
La maison de papa, marmonna-t-elle en français.
Il était sûr qu’elle avait fouillé dans ses effets personnels. Le contenu de son bureau avait été brassé, quant à sa chambre… 
Dans ce cas, dit-il dans la langue de Molière, permets-moi de le faire à sa place.
Les yeux de Nejma tiraient sur le gris aujourd’hui. Leur versatilité trahissait-elle ses états d’âme ? Ce serait pratique, mais, pour l’instant, il ne la connaissait pas suffisamment pour interpréter ces signes. Il lui faudra se montrer plus astucieux qu’elle.  


Il lui présenta les deux étages, lui expliquant la fonction de chaque pièce, ouvrant même les placards muraux afin de nourrir sa curiosité naturelle. Rapidement, elle retrouva sa loquacité, dans un bricolage de franglais amusant.
– Ma maman aussi elle met des posters, dit-elle devant une gouache de Bertha Gerhard que Lawrence avait accrochée dans son bureau.
– Oui, sauf que, là, il s’agit d’un tableau, un vrai tableau. Une œuvre unique, c’est l’artiste qui l’a créé, si tu préfères.
– Un poster en vrai ?
– Un tableau. La peintre a appliqué elle-même les couleurs sur la feuille, c’est pourquoi l’œuvre est unique.  
Le visage de Nejma se fronça.
– Les posters aussi, ils sont en couleur. Qui c’est qui les dessine ?
– Le peintre, mais...
Lawrence soupira. Finalement, il préférait la version « Aye donte pik ingliche ».
Elle ralentit quand ils arrivèrent à sa chambre, confirmant son intuition : elle avait déjà fureté à l’étage. Dans la pièce, il se comporta comme dans les autres, plaisantant en ouvrant les portes du dressing, lui montrant comment Spencer repassait ses chaussettes avant de les plier. En fin de compte, c’était lui qui éprouvait de la gêne. Il n’avait pas réalisé qu’entraîner la gosse, seule avec lui, dans sa chambre, était déplacé. Que penserait Spencer s’il montait maintenant ? Il referma les placards et s’assit sur le lit, à côté de la table de nuit.
– Dans ce tiroir, Nejma, se trouve la chevalière de mon père. Tu sais à quoi ressemble une chevalière ? C’est une bague, avec des initiales, des lettres. Celle dont je te parle est en or. Elle est très ancienne et vaut une certaine somme d’argent, mais ce n’est pas pour cela que je l’aime. Si je tiens à elle, c’est parce qu’elle me rappelle mon père. Il est mort il y a longtemps, et il avait lui-même hérité ce bijou de son père. C’est la raison pour laquelle je la conserve tout près de moi, dans ce tiroir, et pas dans un coffre.
Il fit une pause. Le visage pointu s’était fermé lorsqu’il avait indiqué la table de nuit, et sa peau avait foncé d’un ton. Nejma tenait sa carnation et ses cheveux des origines berbères de sa mère. Spencer lui avait appris qu’il y avait de nombreux roux dans cette branche de la famille. Paradoxalement, ce n’était donc pas le sang écossais paternel, le responsable du cuivre qui frisotait sur sa tête. 
– Nejma, reprit-il, je suis content que tu vives chez nous, et j’espère sincèrement que tu plairas ici, mais pour cohabiter en harmonie, cela nécessite de pouvoir te faire confiance.  
Elle recula et jeta un œil à la porte qu’il avait laissée grande ouverte. Quand même, il n’était pas un tortionnaire.
– Tu dois comprendre qu’à partir du premier étage, tu es dans mes appartements, tu n’as le droit de pénétrer dans ces pièces que si je t’y invite. Suis-je clair ?
Elle hocha la tête. Son visage, lorsqu’il rayonnait d’hostilité, comme actuellement, perdait le peu de charme que la vivacité de ses expressions lui conférait. Lawrence croyait naïvement que les enfants étaient programmés pour susciter l’attendrissement, mais c’était difficile de ressentir de l’affection pour ce spécimen.
– Est-ce que tu apprécierais que j’entre dans ta chambre pendant ton absence ?
Elle haussa les épaules avec indifférence. Il se demanda si elle possédait sa propre chambre, en France et si sa mère toquait avant d’entrer.
– Est-ce que tu aimerais que je me serve dans tes affaires sans ton autorisation ?
Elle haussa à nouveau les épaules. Il se pinça l’arête du nez et appuya ses coudes sur ses genoux. Cette gamine était butée comme la porte d’un couvent. 
– Voici ce que je te propose : je dois encore discuter de certains sujets avec ton papa.
Non seulement elle n’avait pas cillé, mais un éclat de défi avait traversé son regard torve.
– Pendant que je règlerai... des affaires personnelles avec lui, tu vas aller chercher la chevalière et la remettre dans son écrin. Après, nous oublierons cette histoire. Cela restera entre nous. Comme un secret, tu saisis ce que je dis ?
Elle ne bougea pas. Il répéta :
– Moi, je garde le secret et toi, tu ne rôdes plus dans mes appartements sans mon autorisation. Ou l’autorisation de ton père.
Il lui tendit la main, paume ouverte vers le plafond.
– Est-ce que tu acceptes ce deal ?
Elle s’avança et dit dans un anglais déplorable :
– Je veux faire pipi.
Il replia ses doigts.
– Est-ce que tu acceptes ce deal ?
Elle haussa les épaules et Lawrence espéra que cela signifiait oui parce qu’il devenait compliqué de la retenir sans attirer l’attention de Spencer.
– Autre chose, ajouta-t-il, avant qu’elle ne franchisse le pas de la porte. Si cela ne tenait qu’à moi, il m’importerait peu que tu conserves le shampoing que tu as également subtilisé, mais ce n’est pas le mien, il appartient à ma compagne. Elle s’appelle Sonia. Si vraiment tu aimes ce produit, il te suffira de lui réclamer pour qu'elle te l’offre avec plaisir.
Elle fronça le nez.
– Il sent mauvais. 
Il hésita entre l’envie de pouffer de rire et celui de la secouer, mais, vu sa constitution, ce serait comme de jouer au mikado. Il se leva pour descendre avec elle et dans un moment d’inattention, sans qu’il sache comment, la main de la Nejma atterrit dans la sienne. Ses ongles mal coupés lui évoquaient les pinces des petits crabes cachés dans le sable qui lui piquaient les pieds lors de ses dernières vacances au bord de l’Adriatique.
– Ton papa et moi, nous souhaitons que tu te sentes chez toi, donc, si tu désires quelque chose, tu n’as qu’à l’exprimer, dit-il en s’arrêtant au rez-de-chaussée.
Elle se libéra et disparut dans la cuisine qui menait à l’appartement en demi-sous-sol.
– Très bien, alors file, finit-il dans le vide, j’ai terminé.   
Il réceptionna la drôle d’impression qui lui chuchotait que c’était lui qui venait de jouer les rats de laboratoire.

1 commentaire:

Descamps Stéphanie a dit…

La suite la suite vite vite vite...