GOOD LORD (Oh Lord ! Tome 3) Laure Elisac, tous droits réservés Extrait 1

Tous les dimanches et tous les jeudis, un extrait du roman "GOOD LORD", (Oh Lord ! Tome 3)

Dimanche 25 juin 2017





Belgravia, vendredi 23 avril 2011



Lawrence fit quelque chose d’inhabituel, il s’assit à la table de la cuisine. La nouvelle lui avait coupé les jambes et des proverbes absurdes entendus mille fois dans la bouche de son père tournaient en boucle dans sa tête : « Fuir les problèmes est une course qu’on ne gagne jamais. » « Sur un terrain difficile, le cheval ne peut franchir l’obstacle que de face. » « Un cheval docile n’a jamais fait un bon cavalier. » Bon sang, son père aimait ses canassons au moins autant que ses maximes ! « Nous faisons soit partie du problème, soit partie de la solution. » Avec le recul, cette citation d’un membre des Blacks Panthers dans la bouche d’Edward Linton, huitième Comte de Rochester, paraissait incongrue, il en rirait s’il se trouvait seul.
Son problème actuel et celui de Spencer, son majordome, mesurait moins d’un mètre et était âgé de cinq ans. Une fille. Lawrence avait été surpris de se rappeler ce détail. À l’époque, lorsque Spencer était rentré précipitamment de France, abandonnant le séminaire et l’espoir de la prêtrise, Lawrence se souvenait principalement du soulagement ressenti à l’idée que le pépin ne lui arrivait pas à lui. Le pauvre s’était fait berner comme un bleu, comme un puceau, bref, comme un novice. Non pas que coucher avec la première venue ne constitue le quotidien des pensionnaires de l’abbaye ni de coucher tout court, mais forcément, donner la messe en latin n’apprenait pas à utiliser un préservatif. L’histoire se révélait vieille comme le culte, quelle que soit la religion. L’être humain a la folie de se croire au-dessus de la chair, du sang, du sperme, et puis il se trouve confronté à la puissance des hormones. Lawrence avait éprouvé de la pitié et de la compassion pour Spencer, parce qu’aucun homme ne devrait supporter le poids d’un enfant qu’on lui a fait dans le dos, même si le bougre se montre assez idiot pour batifoler sans protection.
La mère de Spencer avait fulminé, astiquant la maison de fond en comble. Lawrence la soupçonnait de se shooter aux vapeurs de javelle et d’encaustique pour effacer l’objet de sa rogne. Elle avait navigué entre la colère contre son fils, et la tristesse de ne pas voir grandir sa petite fille, puis dans un timing cruel, mais efficace, les symptômes d’Alzheimer avaient achevé de bouleverser leur vie et plus personne n’avait parlé de l’enfant. Et Lawrence avait oublié son existence. Jusqu’à ce soir.
Spencer avait réclamé un entretien à son retour de l’hôpital. Requête surprenante, car les causeries avec Spencer concernaient deux domaines : Le bilan des comptes et les travaux et achats nécessaires à la maintenance des lieux. Il manquait une semaine pour le bilan d’avril et, s’il estimait fortuit d’acquérir un nouveau lave-linge, Spencer avait accès à son compte courant.
Or, il lui avait présenté sa démission, sous le prétexte fallacieux d’un obscur et soudain appétit pour le renouveau. C’était avant de le suivre dans la cuisine pour lui soutirer la véritable explication.  
La mère de la petite éduquait sa fille seule. Décision qui ne l’empêchait pas de recevoir une pension alimentaire. Récemment mariée, elle attendait son deuxième bambin. Joli conte. Sauf que la grossesse s’avérait délicate et que la gamine s’entendait mal avec son beau-père. Après cinq ans de silence, Spencer était sommé d’exercer son devoir de paternité et de récupérer sa descendance à l’aéroport, comme un paquet qu’on renvoie à l’expéditeur. Une môme sous garantie.
Cela faisait quelques jours que Spencer gardait la nouvelle pour lui. Ce n’était pas comme si son ex lui avait demandé de l’aide ou feint de s’enquérir de son avis. Il n’y avait pas d’option B, il se rendait directement à la case pigeon. Puisqu’il avait payé toutes ces années pour une progéniture qu’il n’avait jamais vue, autant l’élever. Quel genre de femme se débarrasse d’un de ses rejetons pour se consacrer au nouveau ?
À cette étape de ses pensées, Lawrence prit sa décision. Il était hors de question de se priver des services de Spencer. Après tout, ce ne serait pas le premier homme qui s’occupe d’un enfant en père célibataire, et, grâce à Dieu, ils avaient évité la période des liquides et sécrétions : biberons, couches et pleurs. Spencer ne s’en tirait pas si mal. Une fillette en plus, une ou deux poupées suffiront à la distraire. On ne pouvait même pas parler de vivre à trois, deux et demi serait plus précis. La maison comprenait trois cents mètres carrés répartis sur deux étages, plus un sous-sol aménagé. Ils survivront. Un instant, il songea à Sonia et ce qu’elle en dirait, mais il s’agissait de l’enfant de Spencer, pas du sien, cela n’interfèrera pas avec leur routine. Peut-être d’ailleurs, ne sentira-t-il pas sa présence, vu sa passion frénétique pour les heures de gardes. 
– Il faudra aménager la chambre de votre mère. Avez-vous besoin d’un lit spécial ? Je veux dire, est-ce qu’elle dort dans un lit à barreaux ou quelque chose comme ça ?  
Le visage de Spencer devenait comique à force de se déformer sous l’effet de l’effarement. C’était une des innombrables questions qu’il ne s’était pas posées. 
– Je préfère ne pas investir dans des changements inutiles, elle se contentera du lit de ma mère.
– Mais c’est un lit à deux places, vous n’y pensez pas !
– Il y aura suffisamment de dépenses avec l’inscription à l’école.
L’école. Lawrence avait beau envisager les éléments un à un, ils s’accéléraient à une vitesse folle et aucun ne le réjouissait plus que le précédent. Cette évocation prosaïque rendait la situation plus concrète que tout le reste.
– Il doit bien y avoir un établissement français dans le quartier, avec toutes les ambassades qui nous entourent.
– Je n’ai pas les moyens d’assumer une école privée.
– Réfléchissez, si la petite s’installe avec vous, vous ne payerez plus de pension alimentaire, et les écoles proposent certainement un échelonnement des paiements. Si besoin, je participerai, c’est une broutille.
– Merci, Monsieur, mais je ne peux accepter. Vous assumez déjà les frais de ma mère.
– Spencer, par pitié, nous rencontrons tellement de composantes que nous ne maîtrisons pas, réglons celles qui peuvent l’être sans perdre d’énergie. « Les seuls problèmes que l’argent peut résoudre sont les problèmes d’argent » disait mon père. Laissez-moi gérer la scolarité. On ne va pas l’envoyer dans une structure publique où elle ne comprendrait pas la langue. Est-il seulement possible d’inscrire un enfant en cours d’année ?
Spencer secoua la tête. Il ignorait si la scolarisation était obligatoire à cet âge. Ce n’était pas comme si elle entrait au lycée.
– Comment se prénomme-t-elle ? demanda brusquement Lawrence.
Il était gêné de l’avouer, mais il ne s’en était jamais inquiété.
– Nejma. Mais tout le monde l’appelle Nej. Enfin, sa mère l’appelle Nej.
– Nej. C’est ravissant. C’est comme la « neige » en français.
– Cela signifie « étoile » en arabe. Personnellement, je souhaitais « Gabrielle », parce que l’ange Gabriel annonce à Marie qu’elle porte Jésus, et il annonce à Mahomet son rôle de prophète. Cela aurait marqué le lien entre nous.
– Mais sa famille ne goûtait pas la richesse de la double culture, n’est-ce pas ?
Il émit un gloussement ironique en tournant son attention sur la viande qu’il préparait. Des tournedos dont il retirait les nerfs et tendons avec la pointe d’un couteau. Lawrence apprécia la précision de ses gestes qui lui rappelait son internat et les dépouilles de poulet sur lesquels il s’entraînait.
Spencer essuya la lame du couteau et regroupa des couverts sur un plateau.
– Je vais dresser la table. Comptons-nous sur la présence de Mlle Sonia ce soir ?
– Non, elle assiste à sa répétition de théâtre et travaille sur son mémoire. Elle me rejoindra demain. Mangeons à la cuisine pendant que nous finissons de discuter.   
Spencer s’arrêta, interdit. Lawrence n’avait jamais consommé de repas dans cette pièce, même jeune étudiant, même pour prendre son petit déjeuner.
– Allons, asseyez-vous. Puisqu’il nous reste quelques points à régler, joignons l’utile à l’agréable.
Le majordome se racla la gorge, déposa les couverts, puis s’absorba dans la tâche de saisir les tranches de bœuf tout en surveillant la fin de cuisson du riz Basmati et des asperges. Lorsque le repas fut prêt et disposé sur la table, il stationna les bras ballants devant la chaise. Avec tous les bouleversements qui déferlaient dans sa vie, il se souciait encore du protocole !
Lawrence, transgressant les dernières règles, servit son majordome, ajoutant la garniture dans son assiette avant de se servir à son tour. Spencer posa le bout de ses fesses sur une chaise, sans ôter son tablier. Leur duo aurait probablement provoqué le rire d’Eve et elle lui aurait demandé si Spencer souffrait d’hémorroïdes.     
– Quand arrive-t-elle ? reprit Lawrence.
– Dès que j’aurai acheté le billet. Sa mère accouche dans quinze jours, donc le plus tôt sera le mieux.
– Très bien. Je vous accorde votre lundi. Avec ce week-end, cela vous offre trois jours pour préparer la chambre. Elle emménagera d’ici la fin de semaine prochaine, qu’en pensez-vous ?  
– Ce serait parfait. J’appelle sa mère dès ce soir.                                                                 
– Spencer, ce tournedos est une œuvre d’art, je vous en prie, goûtez-le. Comment faites-vous pour obtenir ce moelleux ?
– Le secret provient du mélange de beurre et d’huile. Le beurre grille et réveille les saveurs de la viande sans la dessécher et l’huile empêche de beurre de brûler. C’est une astuce de Mme Bowen.
Madame Bowen, la cuisinière de Covington Hall, évidemment. Cette année, tous les efforts produits pour oublier ses origines s’étiolaient comme des shortbreads trempés dans un thé trop chaud. Il ne se passait plus une semaine sans qu’il ressente le besoin de faire un saut dans le Kent, et il réalisait maintenant que sa sympathie envers Spencer provenait en partie de ce qu’il recréait autour de lui, la sensation d’appartenir à un foyer.     
– Vous savez Ewan, vous allez parfaitement vous en sortir.
Le majordome hocha la tête. Il piqua une bouchée avec sa fourchette sans réussir à la monter jusqu’à ses lèvres.
– Et puis les circonstances sont provisoires. Quelle maman confierait sa fillette comme ça, à un…
Il s’arrêta avant de dire « à un inconnu ».
– ...sans qu’elle lui manque, conclut-il. Dès que le bébé sera né, elle réclamera Nejma, c’est certain. Savez-vous à quoi elle ressemble ? Comment comptez-vous procéder à l’aéroport ? 
– La compagnie d’avion possède un service d’accompagnement des mineurs.
Il soupira comme si ses poumons atteignaient la taille d’une cornemuse et que son âme portait les plaintes de tous chefs de clans écossais réunis.
– Sa mère m’envoyait des photos, pour son anniversaire, ainsi que les clichés de rentrée des classes.
– Ah, vraiment ?
Lawrence se sentait confus. Il avait vaguement entrevu quelques cadres dans l’appartement du sous-sol, sans jamais les regarder. Finalement, il ne savait rien du majordome, alors que lui maîtrisait la moindre vétille de son quotidien. Eve avait raison, il était totalement égocentré. Certes, Spencer était un employé, et non un ami, mais il vivait avec lui. À l’idée de le perdre, il prenait conscience de son attachement au jeune homme. 
– L’avez-vous côtoyée, depuis sa naissance ? 
Il cherchait dans sa mémoire, un indice indiquant des vacances à l’étranger, mais tout ce qu’il connaissait de Spencer se résumait aux heures consacrées à son Master en Histoire et ses visites dans le Kent.
– Une seule fois, lorsqu’elle avait dix-huit mois, mais le contexte était tellement compliqué, sa famille ne tenait pas à ce que je me mêle de l’éducation. À vingt-trois ans, pour vous avouer la vérité, j’étais soulagé de ne pas avoir à m’investir.
Vingt-trois ans, c’est-à-dire vingt-et-un au moment de la naissance ! C’était un gamin !  
– Et votre « compagne » était très jeune également, je suppose ?
– Seize.
Seigneur ! Quel gâchis ! Lawrence saisissait mieux la surprotection des parents de la jeune fille, et difficile de lui reprocher de refaire sa vie, elle était actuellement plus jeune que Sonia.
Son téléphone vibra dans sa poche. À croire qu’une connexion existait entre eux au-delà du WiFi, car le visage sculptural de sa compagne s’afficha sur l’écran. Que fabriquait-elle ? Elle se plaignait toujours qu’Eve les oblige à éteindre leur portable pendant les répétitions. Il s’excusa auprès de Spencer et quitta la pièce.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Trop bien j'adore vite vite vite la suite svp... Trop impatiente!!!!!

Unknown a dit…

Trop bien j'adore vite vite vite la suite svp... Trop impatiente!!!!!

Anonyme a dit…

J'ADORE !!!