Lyon, le 07 Juin 2015
J'écris comme si je faisais de la broderie, j'aime lire et relire et réécrire les scènes, c'est la partie de l'écriture que je préfère, mais c'est très long. Pour vous faire patienter avant la sortie de la suite de "Oh Lord !" qui s'intitule "Good Lord !" (enfin, jusqu'à maintenant), je vous propose un extrait, c'est la scène d'ouverture du roman...
Bonne lecture :-)
Good Lord !
Chapitre 1
Lundi 3 janvier 2011
– C'est juste là, dit Eve à Lawrence
en indiquant un immeuble à deux étages en briques jaunes qui datait
probablement des années quatre-vingt, autant dire une époque qui n’avait pas
marqué l’histoire par son raffinement.
Elle vivait dans Rushcroft Road, à
Brixton. Les voitures étaient serrées pare choc contre pare choc, comme si la
rue avait rétréci après qu’elles se soient garées. Lawrence jeta un œil au
rétroviseur, avant de couper la route pour s’engager dans une espèce de
renfoncement, en face de l’immeuble. Il aurait préféré trouver une vraie place,
cela aurait rendu leur séparation moins cavalière. Ce n'était pas l'envie de
monter chez elle qui manquait ; ils venaient de passer trois jours en tête
à tête dans le manoir de son frère, et pour des personnes qui étaient encore
des inconnues la semaine précédente, ils avaient exploré toutes les
possibilités offertes par deux adultes consentants, relativement sportifs et
moyennement souples. Il n’était pas lassé de la jeune femme, mais cela faisait
une dizaine de jours qu'il n'était pas rentré chez lui, et il s'était passé
beaucoup de choses dans sa vie : il avait rompu avec sa compagne Daphné,
renoué des liens avec un frère qu’il appréciait modérément, et pratiqué le coït
sur des surfaces qu’il croyait jusque-là destinées à écrire, bricoler, manger
ou ranger des choses. C'était suffisant pour un début d'année. Tout ce à quoi
il aspirait présentement, c’était dormir. Dans son lit.
Il se tourna de trois quart, et prit
appui sur le volant pour se donner une contenance nonchalante.
– Est-ce que c'est toujours
aussi...peuplé ? dit-il en désignant le capharnaüm de voitures, entre gris
poussière et marron rouille.
– Si les gens qui vivaient ici
avaient les moyens de se payer un garage, ils ne vivraient pas ici. Bienvenue à
Brixton, Milord ! ajouta-t-elle
comme si elle présentait un numéro de cirque.
Elle regarda Lawrence pour s'assurer qu'il
n'interprétait pas ses paroles de travers. Sa tentative d'humour avait tourné à
l’ironie, comme souvent lorsqu'elle était mal à l’aise.
Il se contenta de tourner la tête
pour regarder l'immeuble derrière eux. Eve pointa du doigt deux fenêtres en
forme de meurtrières, au dernier étage, qui donnaient sur un minuscule balcon,
séparé en deux par un morceau de tôle.
– Moi, c'est la fenêtre de gauche.
Enfin, à droite plutôt, celle qui est vers nous.
Elle fit le geste de la main pour
clarifier ses propos.
Etant donné la promiscuité des deux
fenêtres, la notion de gauche ou droite sembla dérisoire à Lawrence. Vu de la
rue, l'appartement avait l'air minuscule, et l’immeuble voisin avait deux
fenêtres dont les carreaux cassés avaient été bouchés par du plastique et de
l’adhésif. Il hocha la tête silencieusement.
– Bon, dit Eve, je suppose que c'est
là que nos chemins se séparent...Je reprends le travail demain matin, je
suppose que toi aussi, alors…
Lawrence attrapa la main de la jeune
femme pour la retenir. Le contact était chaud et doux, leur rappelant d'autres
contacts.
– Eve, commença-t-il, je veux que tu
saches que j'ai passé un excellent week-end…Je te suis reconnaissant de l'avoir
partagé avec moi.
Il serra sa main. Eve se sentit
déçue. Certes, elle s'était préparée à ce que leur retour à Londres sonne le
glas de leurs olympiades en gymnastique orgasmiques. Elle n'était pas fleur
bleue, mais ils avaient partagé une telle promiscuité, elle avait espéré
secrètement que...que quoi ? se dit-elle, qu'il lui fasse passer le seuil de
son appartement en la portant dans ses bras et en jetant des pétales de roses
partout dans les escaliers ? Elle savait depuis le début que mis à part le
sexe, ils n'avaient rien en commun. Elle grimaça un sourire. Son corps était
tellement usé, que même les endroits dénués de muscles étaient courbaturés, ils
n’auraient pas dû tirer ce dernier coup sur les marches des escaliers du hall
d’entrée. Leçon à retenir : les escaliers, c’est hot dans les films, mais
les acteurs, eux, ont des doublures. Et certainement des cascadeurs aussi.
– Mais de rien, dit-elle sur un ton
léger, tout le plaisir était pour moi. Et merci de m'avoir raccompagnée, je
suis contente de retrouver mon appartement. Il est petit mais la fenêtre est
orientée ouest, comme on dit. J'ai le soleil tout l'après-midi. Enfin, là,
c'est un peu tard mais il a dû chauffer la pièce. Oh merde ! Putain ! J'ai
coupé le chauffage avant de partir, on doit se les geler !
Elle s'arrêta. Le chauffage, ce
n’était certainement pas un truc qui le concernait, il avait son propre majordome
qui tenait au chaud même ses caleçons. En parlant de ses caleçons…peut-être que
si elle insistait, il serait d’accord pour monter, même cinq minutes…Elle
n’arrivait pas à se résoudre à le quitter. C’était comme si ses hormones
étaient bloquées sur la fonction « sexe », et si possible « sexe
avec un grand blond aristocrate qui sent divinement bon et aime vocaliser au
lit… »
– Ne m'en veux pas si je ne monte
pas…
– Evidement, dit-elle en dégageant sa
main pour remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. De toute façon il
n'y a pas grand-chose à voir, l'appartement est à peine plus grand que le
coffre de ta voiture.
En fait, il était un peu plus grand.
Disons qu'il faisait le coffre et les sièges arrière. C'était un studio mais
une alcôve de taille raisonnable accueillait son lit et comme elle s'entendait
bien avec ses voisins, elle pouvait entreposer des affaires dans le couloir,
cela lui faisait presque une pièce en plus. Mais Lawrence vivait dans un hôtel
particulier à Belgravia, et ils venaient de passer une semaine dans le manoir
familial qui appartenait à son frère, rien de moins. Là-bas, la plupart des
chambres étaient plus grandes que l'intégralité de son studio, salle de bain
comprise, on était très loin du standing de la famille Linton.
Lawrence la regarda d'un air songeur.
Un instant, elle crut qu'il allait dire quelque chose, mais il se ravisa et
sortit son téléphone portable. Il effleura la surface de l'appareil avec ses
doigts, pianota quelques secondes, soupira en fronçant les sourcils puis
marmonna, sans quitter l'écran des yeux :
– Je peux essayer de me libérer jeudi
soir...Sauf urgence, le vendredi est mon jour de consultations, ce n'est pas
grave si je me couche tard la veille.
– Est-ce que tu es en train de
consulter ton agenda pour me fixer un rendez-vous ?
Il leva la tête, surpris.
– Oui, pourquoi ? Ecoute, tu sais que
je suis très occupé...et je n'avais pas prévu que je devrais dégager du
temps...il sourit brièvement. Je n'avais pas prévu que j'aurais à dégager du
temps pour toi.
Il posa son téléphone sur ses genoux.
C'était un smartphone modèle extra plat, gris mat, comme du titane. Le genre
qui devait coûter un mois de loyer. Elle, elle n’avait qu’un Stupidphone, le
genre tout juste assez malin pour envoyer et recevoir des communications
téléphoniques.
– Comment fais-tu d’habitude avec les
autres hommes ?
– Comment je fais ? dit-elle en
réfléchissant. Je sors de mon travail, je passe un coup de fil pour savoir
s'ils sont dans le coin, et s’ils sont libres, on se voit.
– D'accord, je vois. Mais tu
comprends que je ne peux pas fonctionner comme ça ?
Il désigna son appareil.
– C'est ma secrétaire qui prend mes
rendez-vous. Le planning des salles d'opération est rigide, j'ai besoin de la
prévenir à l'avance…il s'arrêta une seconde. Eve, dit-il, comme s’il raisonnait
un enfant. Si tu veux qu'on ait une chance, tous les deux, il va falloir que tu
y mettes du tien, je ne peux pas être le seul à ramer contre le courant.
– Ok, ok, fit Eve, résignée. Disons
jeudi soir alors.
C'était dans quatre jours, une
éternité pour elle. Lawrence reprit son téléphone et effleura la surface
vitrée.
– Je vais faire décaler un
rendez-vous et je devrais pouvoir me libérer pour vingt heures. Veux-tu qu'on
se retrouve dans un restaurant ? Je peux t'envoyer un taxi, ou plutôt non, je
passerai te prendre. Vingt heures en bas de chez toi. Quel est ton genre de
nourriture ? Est-ce que tu aimes le japonais ?
Eve haussa les épaules. Elle se
fichait éperdument de ce qu'ils allaient manger dans quatre jours. La seule
chose comestible qui l’intéressait se trouvait derrière sa braguette, et pas
besoin d’un lit de salade pour le déguster, un lit tout court fera
l’affaire.
– Pourquoi on ne s’appellerait pas
plutôt jeudi pour savoir de quoi on aura envie à ce moment-là? Je ne suis pas
fan des prévisions à long terme.
– C’est un pléonasme.
Elle haussa les sourcils en signe
d’interrogation.
– « Prévisions à long
terme »…Oublie ce que je viens de dire. D'accord pour s’appeler jeudi.
Il pianota encore quelques secondes,
puis attendit.
– Je vais avoir du mal à t'appeler
jeudi, si tu ne me donnes pas ton numéro de téléphone.
Eve rit bêtement. Cela ne lui
ressemblait pas d'être aussi nerveuse. Il y avait quelque chose chez lui qui
réduisait son QI à celui d’une moule. D’ailleurs elle avait une envie folle de
s’accrocher à lui comme à un rocher.
Elle lui donna son numéro et
tressaillit quand elle sentit sa poche vibrer. C'était Lawrence qui l'appelait.
– Quoi ? Tu avais peur que je te
donne un faux numéro ?
– Non, mais maintenant toi aussi tu
as le mien. Et puis n’oublie pas que je sais où tu habites, tu ne peux pas
m’échapper.
Elle lui sourit et sentit
l'excitation la reprendre malgré les courbatures et la fatigue. Quatre jours.
Et pourquoi pas quarante jour dans le désert pendant qu’il y était ! C’était qui dans le désert d’ailleurs ?
Moïse ou Abraham ? Et comment il en était sorti ? Il était tombé tout
à coup sur la mer, genre, ça fait quarante ans qu’on vit comme des idiots à
côté de la plage et on ne le savait pas ? Et Dieu créa le Club Med…
– Je suis désolé, l’interrompit
Lawrence, je dois y aller, j'ai une grosse journée qui m'attend demain.
– Bien sûr ! Moi aussi j'ai des tas
de trucs importants à faire. J’ai une commande de post-it en cours et tout un
tas d’enveloppes à ouvrir. Une semaine sans moi et la boîte doit être au bord
de la faillite !
Lawrence était neurochirurgien et Eve
secrétaire dans une société de déménagements. Le travail était un des nombreux
points qu’ils n’avaient pas en commun. Elle pouvait se permettre de bailler en
répondant au téléphone, mais lui, difficile de tenir un scalpel quand on n'a
pas dormi depuis trois jours…
Lawrence sortit de la voiture et Eve
prit sur elle pour attendre qu'il ait contourné le véhicule pour lui ouvrir la
portière. C'était une manie qu’elle trouvait ridicule et sexiste, mais
puisqu'il ne voulait pas être le seul à ramer…
Ils se contentèrent d'un chaste
baiser et Lawrence, appuyé contre la voiture, la regarda disparaître derrière
les grilles de couleur indéfinissable qui protégeaient l'entrée de l'immeuble.
Elle n'avait pas voulu qu'il porte son sac, ce qu’il interprétait comme de la
fierté mal placée, mais au moins, elle ne pouvait pas l'empêcher d'attendre de
voir la lumière dans son appartement avant de reprendre la route. Ce n'était
quand même pas un défaut de vouloir s'assurer qu'elle était bien rentrée et
qu'elle était en sécurité. Il balaya la rue du regard. Cette partie du quartier
avait l'air assez calme par rapport à l'agitation qui régnait sur Coldharbour
Lane, mais elle manquait d’âme. Les bâtiments, s'empilaient comme des
parallélépipèdes jetés à la va-vite par un architecte neurasthénique. La
lumière du studio d'Eve s'éclaira. Il n'avait plus de raison de s'attarder,
mais il avait du mal à remonter dans sa
voiture. Dans sa poche, son téléphone vibra :
Message
reçu de Eve Adams : "Merci encore de m'avoir raccompagnée."
De l'avoir raccompagnée ? C'est tout
ce qui l'avait marquée ce week-end ? Son ego en prenait un coup. En même temps,
à quoi s’attendait-il ? « Merci de m’avoir ramonée ? » Elle
serait capable d’écrire un truc comme ça...Il effleura rapidement les touches
de son téléphone :
Message
envoyé de mon Iphone : "Tout le plaisir était pour moi."
Message
reçu de Eve Adams : "Merci également de m'avoir fait venir"
Il sourit malgré lui.
Message
envoyé de mon Iphone : "Merci de tes allées et venues"
Il attendit quelques secondes avant
d'appuyer sur la touche "envoi", il ne voulait pas donner
l'impression d'être empressé.
Message
reçu de Eve Adams : "A ton service. "
Et avant qu’il ait le temps de
répondre :
Message
reçu de Eve Adams : "J’aime donner un coup de main de temps en
temps."
Message
envoyé de mon Iphone : "Tu sais que c’est difficile de conduire
avec un deuxième levier de vitesse entre les jambes ?"
Message
reçu de Eve Adams : "Alors pourquoi tu ne montes pas ? Tu
pourrais me donner un cours de conduite sur route glissante."
Il rit et fut surpris du son de sa
voix dans la rue déserte. Il se reprit.
Message
envoyé de mon Iphone : " Parce que la seule chose que je peux
encore bouger, c'est le doigt qui tape ce message…"
Message
reçu de Eve Adams : " Je t'ai déjà vu faire des miracles avec ce
doigt."
Message
envoyé de mon Iphone : "Content que tu aimes ma prose."
Il y eu une petite pause pendant
laquelle Lawrence eut l'impression que cette fois c’était son rire à elle qu’il
entendait, mais ce n’était pas possible, pas à cette distance.
Message
reçu de Eve Adams : "Si tu es trop fatigué pour me rejoindre,
alors pourquoi es-tu encore là ?"
Il fixa son écran avec un sourire
bêta. "Je me pose la même questi…" Il leva les yeux et réalisa qu'Eve
se tenait dans l'encadrement de la fenêtre. Elle était à contre-jour et son
visage était dans l’ombre, mais il devinait un sourire moqueur sur ses lèvres.
Il souleva les épaules en signe de reddition, et reprit son téléphone.
Message
envoyé de mon Iphone : "J'ai l'air d'un imbécile ?"
Il la regarda pendant qu'elle lisait
son message et pendant qu'elle lui répondait. Elle prenait son temps. Il était
content qu'elle lui écrire sans abréviations. Il avait horreur du langage codé
et des smileys à toutes les fins de phrases.
Message
reçu de Eve Adams : "Totalement imbécile et absolument désirable.
J’ai envie de te grimper dessus."
Ils restèrent un moment à se
regarder. Lors de ce simple échange, il avait souri plus souvent qu'en une
journée entière, et lors de ce week-end, il avait ri plus que l'intégralité du
mois écoulé. Il pianota une dernière
fois sur son écran.
Message
envoyé de mon Iphone : "Jeudi ? Vingt heures ?"
Lorsque son
téléphone vibra il découvrit un smiley. Et malgré lui, il sourit. Encore.
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