Jeudi 10 Août 2017
Aujourd'hui, 10 Août, c'est ma fête ! Et c'est un peu aussi la vôtre puisque le nouvel extrait de Good Lord (Oh Lord ! Tome 3) est maintenant en ligne :-)
Je vous souhaite une bonne lecture.
Extrait 13
Samedi 4 juin 2011, Belgravia, Londres
Debout devant la psyché de son
dressing, Lawrence examinait son reflet. Il lissa un pan de son smoking, un
modèle sur mesure en laine et mohair, trop chaud pour la saison, mais c’était son
préféré. Le bouton unique de la lisière soulignait le cintrage du veston, et le
noir profond du vêtement, contrastant avec le satin de la bordure, sculptait sa
silhouette élancée. Sous la veste, il avait choisi un gilet blanc et tenait à
la main le nœud papillon qu’il venait de retirer. Il n’avait jamais vraiment raffolé
ce genre d’accessoire qui allait de pair avec son smoking. Lorsqu’il s’était découvert
dans le reflet, il n’avait pas pu s’empêcher de penser à Eve et toutes les occasions
où elle s’était moquée de lui. Pour elle, les nœuds étaient réservés aux
paquets cadeaux et aux clowns, et, comme par hasard, elle abhorrait les deux.
Qui d’autre qu’elle détestait les paquets cadeaux ? Et les clowns ! C’était
ironique, quand on connaissait ses goûts vestimentaires. Il se retourna pour déposer
le nœud dans le tiroir destiné à cet effet et sursauta. Une espèce d’alligator orangé
rampait sur la moquette, à l’entrée du dressing.
– Nej ! Je t’ai déjà expliqué
que je n’aimais pas que tu t’introduises chez moi sans frapper.
– Mais j’ai tapé ! protesta-t-elle
en se redressant pour croiser ses jambes en tailleur et prendre son ballon sur
les genoux.
– Dans ce cas, j’apprécierais qu’à
l’avenir, tu toques d’une façon audible et que tu attendes que je t’invite à
entrer pour pénétrer dans la pièce. D’accord ?
Elle acquiesça, une lueur effrontée
dans le regard. Il soupira. Un jour, il allait tomber sur elle en sortant de la
douche. Il ne savait comment la forcer à obtempérer, ses recommandations
glissaient sur elle comme sur une toile cirée.
– N’avait-on pas également établi
une règle concernant les objets volants à l’intérieur de la maison ?
Loin de le laver, la pluie de la
veille avait apporté sa contribution à la couche de crasse qui couvrait la
surface élimée de son balcon. Elle le couvait comme s’il s’agissait d’une
peluche, d’ailleurs elle dormait avec.
– Oh, mais que voilà ? dit-il
soudain, en l’étudiant plus attentivement. Une robe ? Diantre, montre-moi
ça !
Le minois de Nejma s’illumina et
elle se leva pour lui permettre d’admirer sa mise. C’était une robe safran, à
la coupe droite, recouverte de sequins translucides sur les manches. Il n’arrivait
pas à croire que Spencer avait réussi à la convaincre d’enfiler une toilette de
fille ! Même si le coloris jurait avec sa chevelure et donnait l’impression
que son teint virait au vert.
Il souleva son bras afin de l’inciter
à tourner sur elle-même. Elle virevolta en babillant.
– C’est la couleur préférée de
maman ! Elle a plein de robes orange, mais, moi, elle veut jamais que j’en
mets !
Et l'on sait pourquoi, songea-t-il.
Heureusement, que la couleur préférée de sa mère n’était pas le jaune, le
résultat aurait été pire. Nejma s’approcha du tiroir à cravates.
– Pourquoi t’as enlevé le nœud
papillon ? s’enquit-elle, en utilisant le terme français.
– Papillon ? C’est plus poétique qu’en anglais, nous nommons cela
ça simplement un nœud.
Elle saisit l'étoffe soyeuse et il
réprima un frisson, comme à chaque fois qu’elle tripotait ses effets personnels
après avoir joué dans le jardin.
– Je l’ai retiré parce que je le
trouvais trop sérieux.
– Les clowns, ils en mettent un
rouge !
Il lui ébouriffa le sommet du crâne
affectueusement.
– C’est juste. Je me demande ce qui
m’a pris, de l’acheter gris. J’en parlerai à ton père.
– Moi aussi je veux me déguiser.
Elle attacha la bride dans ses
cheveux, comme un bandeau. Lawrence le reprit délicatement.
– On en achètera un orange, assorti
à ta robe, mais pas ce soir.
– Et aussi le maillot de foot de
Didier Drogba ?
– Oui, même si j’ignore à quoi
ressemble ce Drogba. Voyons encore cette merveille. Tu seras la plus jolie
petite fille de la soirée.
Elle le regarda, surprise. Ni
Lawrence ni Spencer n’avaient l’habitude de la complimenter sur son
apparence.
– Nejma !
La voix agacée de Spencer leur parvint
au loin.
– Nejma ! répéta-t-il en
débouchant devant le dressing. Je t’ai priée d’attendre Milord au
rez-de-chaussée, tu ne dois pas monter dans sa chambre quand il s’habille !
Après un instant, il ajouta : tu ne dois pas monter dans sa chambre tout
court ! Je te l’ai rabâché un millier de fois ! Puis, s’adressant à
Lawrence : Monsieur, je suis désolé. Vous ne devez pas hésiter à la
renvoyer lorsqu’elle vous dérange.
Lawrence grimaça. Elle ne le
dérangeait jamais, il aimait sa présence. Néanmoins, il se crut obligé de
soutenir son majordome dans sa tentative d’autorité.
– Nej, obéis à ton papa. Descends
avec lui, je vous rejoins dans cinq minutes.
La petite prit un air mauvais qui
faisait ressortir ses taches de rousseur, et traina des pieds jusqu’à la porte.
Au lieu de la suivre, Spencer observa Lawrence quelques secondes.
– Milord ne met pas de nœud ?
C’est alors que Lawrence remarqua l’élégance
de Spencer. Il portait une veste de costume et une cravate anthracite sur une
chemise gris perle. Sonia l’avait convié à la première de la pièce, ainsi que
Nejma. Lawrence avait trouvé son geste diligent. Et puis, il était content de
compter des alliés à ses côtés pour affronter cette soirée.
– Je crains de paraître trop
cérémonieux. Je m’interrogeais sur l’éventualité de garder le col de ma chemise
ouvert.
Spencer le scruta de pied en cap.
– Pourquoi pas, mais dans ce cas, me
permettrais-je de suggérer à Monsieur d’ôter son gilet ?
Lawrence hocha la tête.
– Vous avez raison. Merci, Spencer.
Le majordome se retira. Nejma
attendait son père en triturant la poignée de la porte de chambre.
– Au fait, Nej…
Lawrence passa la tête en dehors de
son dressing.
– Aurais-tu la grâce de me prêter
mes boutons de manchette ? Les nacrés, en forme de navette, tu vois desquels
je parle ?
Nejma acquiesça et dévala les
escaliers. Spencer pinça les lèvres. Sonia leur avait préconisé de la féliciter
pour ses larcins, mais c’était au-dessus de ses forces. Ils étaient tout de
même arrivés à un compromis, Spencer lui avait confié un coffret pour ranger
ses « emprunts », ainsi ils gardaient un œil sur ses prises.
– Au moins, elle est soigneuse, dit
Lawrence, et prêteuse, accordons-lui cela.
– Loué soit le seigneur !
Dommage que ce soit avec les affaires des autres. Pensez-vous que quelque chose
de bon naîtra de cette expérience ? Tout ce que j’essaye de lui inculquer
finit en déconfiture. Je suis un père inutile.
– Elle a besoin de se sentir aimée. Comme nous.
Coldharbour Lane, Brixton, Londres
Lorsqu’ils accédèrent au grand hall
du théâtre, Lawrence hésita à se rendre dans les coulisses pour saluer Sonia et
Alexander, tant il appréhendait le moment de renouer avec Eve. Toute la
semaine, le tract de Sonia avait déteint sur lui, nouant son estomac au fur et
à mesure que l’échéance de la représentation se concrétisait. Arrivé au pied du
mur, il constatait que son malaise se nourrissait d’un mélange de crainte et de
désir vis-à-vis de leurs retrouvailles. Il redoutait le moment où ses souvenirs,
qui avaient fermenté pendant quatre mois, se confronteront à la réalité. Peut-être
la trouvera-t-il plus commune que dans sa mémoire et il se demandera pourquoi
il pensait encore à leur histoire. Ou alors, elle se révèlera plus attirante
que jamais et il se sentira idiot, parce que sous le coup de l’orgueil il avait
pris des décisions trop vite et trop mal. Qu’allait-il éprouver à son contact,
maintenant que son cerveau était débarrassé de l’ivresse de l’ocytocine ? Une
vague d’adrénaline monta en lui à l’idée de sa proximité, comme quand on tombe
sur quelqu’un qui nous a manqué, après une longue absence. Absolument inapproprié.
Spencer lui tendit son ticket, un carré
de papier de mauvaise qualité avec le titre de la pièce et la date, apposés au
tampon.
– Si Milord désire rejoindre
mademoiselle Sonia en coulisse, nous allons nous installer dans la salle pour
garder les sièges, les places ne sont pas numérotées.
– Ne vous inquiétez pas, les deux
premiers rangs sont réservés aux familles et invités. Et Ewan, oublions les
Milords. Ce soir, faites-moi la grâce de m’appeler Lawrence.
Le visage de Spencer s’allongea
comme s’il venait de lui proposer une turlute sur le parking.
Une femme derrière Lawrence poussa
un cri et, en quelques secondes, toute l’attention se porta sur l’homme qui
sortait des loges.
– Regarde, Tonton Lolo, fit Nejma
en pointant l’homme qui paradait au centre de la cohue. Regarde, son costume,
y’a la même couleur que ma robe !
Il était difficile de ne pas
reconnaître l’acteur, son nom se lisait sur toutes les lèvres brillantes de
salive des personnes agglutinées autour de lui.
– Pas exactement, chuchota-t-il en
se baissant vers Nejma, si tu observes attentivement, tu verras qu’il est
marron avec de fines rayures orangées, seulement, comme elles sont très proches
les unes des autres, elles te donnent l’impression que le tissu est orange. Il
s’agit d’une illusion d’optique. Une de plus, marmonna-t-il pour lui-même, tout
est faux chez ce bonhomme.
– Une illusion de quoi ? demanda
Nejma.
– Lord Rochester ! Comment
allez-vous ?
Lawrence serra la main que Gerry
lui tendait.
– Monsieur Penholl, je vais bien,
merci, et vous ?
– Je vous en prie, appelez-moi
Gerry !
Lawrence se tourna vers Spencer,
qui avait récupéré l’enfant et tentait de l’entraîner dans les escaliers. La
petite refusait de bouger, toute son attention était fixée sur le pan de la
veste rayée.
– Laissez-moi vous présenter Ewan
Spencer, et sa fille, Nejma.
Gerry salua le majordome.
– C’est une illusion debite, dit
Nejma en montrant le costume. Pourquoi tout est faux chez toi ?
– Nejma ! s’exclama Spencer.
Gerry la considéra avec curiosité,
sourit et partit dans un vaste éclat de rire.
– Qu’est-ce que c’est que cette… n’aurais-tu
pas un grand frère nommé Chucky par hasard ?
– Non, Kemil, mais il est petit et
son crâne est plat derrière. Il a pas de cheveux.
– Ah. D’accord. Je suis désolé,
mais je dois atteindre ma place avant que quelqu’un n’alerte les journalistes.
Je m’en voudrais de voler la vedette à nos héros du jour. Mon vieux, Sonia est
sexy en diable dans son costume, ajouta-t-il en faisant un clin d’œil à
Lawrence.
Cet homme respirait l’antipathie.
En fait, depuis la mort de son père, Lawrence ne se souvenait pas avoir jamais côtoyé
quelqu’un capable de l’irriter aussi facilement. Gerry gravit les escaliers qui
menaient au balcon. Au moins, il ne se tiendrait pas avec eux dans le parterre,
sans doute trop ordinaire pour son ego de star. La rencontre avec le comédien,
si courte fût-elle, avait sapé le peu de courage qui lui restait. Il préféra suivre
Spencer dans la salle et envoya un SMS à Sonia pour lui souhaiter bonne chance.
Il avait fait livrer des fleurs dans l’après-midi, on ne pouvait lui reprocher
un manque d’éducation.
Nigel était déjà assis, Lawrence se
glissa à ses côtés, ravi de compter un visage ami supplémentaire. La salle comprenait
quelque deux cents places entre l’orchestre et le balcon. Elle servait selon
les besoins de théâtre ou de salle de cinéma. Actuellement, elle se remplissait
par à-coup, dans un bruissement de voix disparates.
– Mon Dieu, souffla Nigel en se
penchant sur l’épaule de Lawrence, je reviens des coulisses, la tension est à
son comble. Noah est dans tous ses états, car il paraît qu’il y a une sommité
dans le public. Je n’ai pas le droit d’en piper mot, mais cela a un rapport
avec la pièce pour laquelle il a été engagé.
– Je sais, répondit Lawrence en se
retournant pour vérifier que personne ne l’écoutait. Nous avons croisé Gerry
Penholl à notre arrivée. Mais il ne semblait guère cultiver le mystère.
– Je ne parlais pas de Penholl,
mais de Malcolm Hurst en personne. Promettez-moi de garder le secret, j’ai juré
de me taire. Eve a prévenu Noah pour qu’il se montre impeccable, mais elle lui
a interdit de l’évoquer devant les autres pour éviter que le trac ne les
paralyse. Hurst assiste à la pièce incognito.
Lawrence chercha machinalement
autour de lui. À l'étage, la place surnommée « l’œil du prince »
parce qu'elle permettait d’apprécier l’ensemble du décor sans distorsion, Gerry
épluchait nonchalamment le programme. Les sièges à ses côtés étaient vides. Il
réalisa qu’il n’y avait pas que Noah qui sera jugé, la présence de Hurst devait
être particulièrement stressante pour Eve. Il se demanda qui l’aidait à gérer
cette pression. Heureusement que Dante se trouvait près d’elle. Nigel effleura
son bras au moment où la lumière faiblissait et désigna le balcon du menton. Il
eut juste le temps d’apercevoir la silhouette d’une jeune femme blonde, et
celle d’un homme imposant, qui pliait maladroitement ses jambes pour prendre
place aux côtés de Gerry.
La pénombre baignant la salle, les
bruits de conversation cessèrent. Quelques toux et raclements de gorge, puis le
silence, et l’ouverture des rideaux.
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