GOOD LORD (Oh Lord ! Tome 3) Laure Elisac, tous droits réservés Extrait 11

Dimanche 30 juillet 2017

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Extrait 11


Montage Laure Elisac


Dimanche 22 mai 2011, Covington Hall, Kent




Dante se demanda ce qu’il fabriquait là. Difficile d’accuser l’alcool : la veille, au restaurant, ils n’avaient descendu que deux bouteilles de vin à six. Trois et demie précisément, car Lawrence avait à peine trempé ses lèvres dans son verre et il avait confisqué celui de Sonia alors que Noah le remplissait pour la troisième fois. Le reste avait été partagé entre lui, Nigel et Noah. Alex, fidèle à lui-même, c’est-à-dire l’esprit festif comme un militant antiavortement, s’était obstiné à consommer de l’eau, alléguant qu’il comptait rentrer à Covington dès la sortie du restaurant. C’est alors que l’idée avait germé. Noah désirait se relaxer avant d’attaquer lundi, le travail sur le livret de Malcolm Hurst, Lawrence avait surenchéri, Nigel et Sonia avaient suivi... le groupe avait abrégé le repas et pris la route pour finir le week-end dans le Kent. Mais ce n’était pas cela qui rendait Dante dubitatif. C’était de se trouver à sept heures sur le perron de Covington Hall, en short et baskets. Il avait investi dans un bermuda qui paraissait large sur le mannequin du site de commande par correspondance. Sur lui, l’habit, trop étroit d’une taille, se distendait sur ses cuisses et moulait ses fesses au point qu’il n’osait se baisser par peur de dévoiler un endroit de son anatomie que la fraîche haleine d’un matin dans le Kent n’était pas censée caresser. Il remonta ses chaussettes au maximum dans une tentative désespérée de couvrir ses mollets. Il s’attendait à ce que sa pilosité le préserve du froid, mais un vent sournois s’engouffrait entre ses poils, provoquant des trainées de chair de poule. Il chercha son smartphone dans sa poche, afin d’envoyer un cliché de ses jambes à Eve, mais sa main se referma sur du vide. Il l’avait oublié dans la chambre. Cazzo ! se dit-il. Sans son téléphone, il se sentait démuni. Quand donc était-il devenu dépendant de cette machine ? 
La porte d’entrée s’ouvrit sur Lawrence Linton. Les velléités métaphysiques s’évanouirent avec ses connexions électriques qui migraient au niveau de son entrejambe, heureusement sauvegardé d’un débordement par le coton plaqué contre son bas-ventre. Il fallait admettre que la vue valait le détour. L’homme portait le short comme d’autres portent le costume. Le vêtement, court, découvrait les deux tiers de ses cuisses. Pour cela, Dante fut tenté de remercier Dieu, car, qui d’autre, pouvait se targuer de la responsabilité d’une telle œuvre ? La pièce de tissu, bénie soit-elle, permettait d’admirer les longs muscles se contractant au moindre geste. Les doigts de Dante le démangeaient de peindre comme de palper, et, pour compléter le tableau, le bougre affichait un tee-shirt vert kaki, de l’exacte teinte de ses prunelles. La morale lui susurrait qu’il était indécent de fantasmer sur son beau-frère, mais difficile de lutter lorsque cet éphèbe agitait ses membres sous son nez pour l’inciter à s’échauffer. S’échauffer ? L’innocent n’avait donc aucune conscience qu’il était chaud comme la braise à le regarder s’étirer et se pencher en avant pour empoigner ses chevilles. Dante sautilla sur place afin d’exhorter à la circulation le sang qui s’engorgeait dangereusement dans la seule zone qui ne contenait pas d’organes rétractibles. Lawrence l’étudia avec un air bizarre. Une chance qu’il ne lisait pas dans les pensées, car, avec toute la lubricité qui régnait dans les siennes, il serait déjà, sans mauvais jeu de mots, parti en courant. Dante varia ses mouvements, passant d’un pied sur l’autre, conscient qu’avec sa tenue, il offrait un spectacle pitoyable.
– Si c’est ma silhouette qui te fascine, dit-il, je tiens à préciser que les apparences sont contre moi. Je n’ai pas grossi, c’est ma taille qui est trop petite par rapport à mon poids. Si je mesurais vingt centimètres de plus, cette silhouette de rêve toucherait à la perfection.
Lawrence esquissa un sourire et se frotta le menton avant de répondre.
– Il s’agit de ta barbe, je m’interrogeais. Comment parviens-tu à être toujours parfaitement apprêté ? En fait, j’avoue que, depuis hier, tu me donnes envie de laisser pousser la mienne.
– Vraiment ? répondit Dante, flatté. Pourquoi pas ? Moi, depuis qu’Eve m’a invité à l’adopter pour le rôle du colonel Wittaker, je m’y suis attaché. Et contrairement à la légende, passé une certaine longueur, c’est doux au toucher. Pas autant que des poils pubiens masculins, mais pas loin de ceux des dames, si tu m’autorises cette audacieuse comparaison.
– Et bien… c’est assez perturbant comme remarque, dit Lawrence, mi-sérieux, mi-amusé. Je ne sais ce que je dois faire de cette information !
Il lui fit signe de le suivre, et ils commencèrent leur course à travers les pommiers. Quand Dante joggait avec lui, Lawrence prenait soin de l’emmener sur des chemins plats pour ménager ses muscles novices. Dante était sensible à cette prévenance. Après quelques foulées pendant lesquelles la splendeur des arbres en fleurs sous la rosée absorba leurs réflexions, Lawrence reprit :
– J’ai essayé, il y a quelques années, mais tout le monde n’a pas ta constitution ; chez moi, elle pousse n’importe comment, avec des espaces aberrants. Sur toi, le rendu est sophistiqué. À la vérité, je t’envie.
Dante lui révéla le secret de sa barbe entre deux respirations douloureuses. Lawrence ralentit sous le coup de la surprise et s’approcha pour inspecter l’objet de leur attention. Le souffle de Dante se tarit, sans compter qu’ils se baissaient régulièrement pour éviter les branches basses, rendant l’exercice périlleux. Lawrence demanda l’autorisation de la toucher. Ils interrompirent leur course. Dante ne se souvenait pas avoir jamais côtoyé son beau-frère de si près. L’homme sentait divinement bon au milieu des essences de bois que transportait la brise. Ses yeux possédaient la couleur du limon et la densité du fond des lacs que l’on ne distingue que lorsque le soleil traverse l’eau claire, en projetant des paillettes argentées de ses rayons. Lawrence effleura sa joue. Bien sûr, le résultat présentait moins de douceur que ce que Dante avait professé, à cause de la fine couche de maquillage, mais il sembla apprécier le contact.
– Toi et Eve, dit-il, je ne connais personne d’aussi original que vous.  
Il repartit en moyenne foulée et Dante trottina derrière lui, avec la souplesse que le tissu rigide lui allouait. Son originalité, récemment, avait été de résister à la mode du Lycra, ce qu’il regrettait âprement. Il récoltait néanmoins un bénéfice à la situation : son entrejambe étant maintenant l’unique zone de son corps qui ne protestait pas sous le coup de la souffrance. Lawrence ralentit à nouveau et se retourna, il ne transpirait pas encore, mais ses pommettes étaient délicieusement rougies par l’effort. Ils quittèrent le verger pour s’aventurer sur un sentier de terre battue réservé aux autochtones, car l’étroitesse interdisait à deux véhicules de se croiser.
– Pour prévenir les points, il faut expirer deux fois longuement pour une inspiration, dit Lawrence montrant l’exemple. Les dix premières minutes sont les pires, après, les endorphines anesthésient le cerveau, et on plane.
Il s’exprimait sans indiquer de signes d’essoufflement, ayant adapté sa foulée à celle de Dante, ce qui équivalait à courir au ralenti. Dante, lui, voyait sa vie défiler devant ses yeux, persuadé qu’il ne reviendrait pas vivant de ce périple. Mais au bout d’un moment indéterminé – il n’osait pas regarder sa montre – le miracle se produisit. Non pas le nirvana, mais au moins, la douleur dans les poumons s’atténua, et ses pieds qui frappaient le sol en même temps que ceux de son comparse le menèrent à une espèce de transe pas désagréable. Lawrence continuait sa causette, car c’était bénéfique pour le rythme cardiaque, mais Dante n’était pas dupe, il lui tenait le discours qu’on réserve à un blessé pour l’empêcher de sombrer dans le coma. Lawrence évoqua le stress de Sonia et l’approche de la pièce, qui la mettait sur les dents. Dante, lui, demeurait serein, son excellente mémoire le préservait des absences et il évoluait sur les planches, à l’aise comme devant ses élèves.
– À mon avis, dit ce dernier, haletant, Sonia... veut être trop... parfaite, elle oublie... de s’amuser.
– D’après ce qu’elle me rapporte, Eve ne s’avère pas tendre avec la troupe en ce moment, ça ne l’aide pas à se décontracter.
– Ah, Eve... elle, également, doit apprendre... à gérer la pression…
Et à contrôler son animosité envers Sonia, songea le peintre, mais il garda cette réflexion pour lui.
– Comment va-t-elle ? s’enquit Lawrence.
La question avait été posée si rapidement que Dante mit quelques secondes avant de percuter. À moins que ce ne soit sa cervelle qui se liquéfiait, ce qui expliquerait la quantité de liquide ruisselant le long de ses sourcils et de sa mâchoire, quand la sueur se contentait de perler avec grâce sur les tempes de Lawrence.
– Bien, répondit-il en essuyant son visage avec son avant-bras.
Il comprenait enfin pourquoi les joueurs de tennis arboraient ce look ridicule, avec leurs bracelets et bandeaux en éponge.  
Au loin, une voiture qui roulait dans leur direction, auréolée d’un nimbe de terre poussiéreuse. Dante guettait un virage qui signalerait l’heure du retour. Il réalisa que Lawrence escomptait une suite à sa réponse.
– Elle est... bien, dit-il.
Cette concision n’était pas seulement la conséquence d’un déficit en oxygène, il se creusait les méninges, mais ne voyait pas quoi ajouter. Depuis qu’elle fréquentait cet animal de Gerry, elle avait comme grandi. Ce n’était pas une histoire de maturité, les responsabilités, elle connaissait ; quand sa mère avait disparu, elle avait assumé la charge de son père avant d’avoir entamé sa puberté. Mais elle avait acquis une assurance, il la trouvait moins tributaire du regard de son entourage, et elle rayonnait d’une beauté plus profonde. D’ailleurs, elle avait cessé de s’habiller comme un sucre d’orge. Il aimait son style coloré, simplement, auparavant, c’était une femme attractive, aujourd’hui, elle était attirante, c’était là la différence. Et cazzo ! Quelle misère que ce soit un charlot comme Gerry qui profite de la métamorphose.  
– Sonia se plaint de ses accès d’humeur, il paraît que le travail l’obsède depuis que le théâtre est devenu son métier.
– Non... c’est injuste... c’est nouveau... pour elle…. et notre pièce... elle sait que tout le monde... la jugera... en fonction…. de notre performance… C’est important pour... elle... de prouver qu’elle est capable... de réussir...
Lawrence vérifia le timer de son téléphone.
– Quarante minutes, dix de mieux que la dernière fois, c’est honorable pour un débutant. Si tu le souhaites, on peut s’arrêter et marcher en coupant à travers le bois.
Dante ne se fit pas prier. Il pila sur le bas côté et s’appuya sur ses genoux pour récupérer son souffle. Lorsqu’il se redressa, il aperçut Mark, le jeune majordome, au volant d’une voiture qui avait été bleue, mais pas dans cette décennie. Un copain de son âge l’accompagnait, l’un et l’autre aussi blanc que la nuit qui venait de s’écouler. On les aurait jurés sortis d’une version gay de Twilight. Arrivé à leur hauteur, Mark stoppa l’engin sans couper le moteur et descendit sa vitre.
– Monsieur Stefanagi, vous allez bien ?
Dante se redressa, en hochant la tête. C’était suffisamment dégradant de s’exhiber dans cet accoutrement, sans passer pour un débris.
– Peut-on vous déposer au manoir ? J’ignorais que nous comptions sur votre présence ce week-end, Milord, pensez-vous que Monsieur Linton aura besoin de mes services ?
– Non, ne t’inquiète pas, nous sommes de passage, nous repartons ce soir.  
Dante avait hâte que Mark déguerpisse. Les gaz du pot d’échappement lui chatouillaient le nez.
– Monsieur Stefanagi ? insista-t-il en le dévorant des yeux, et comme la pénurie de sommeil leur conférait un aspect vitreux, cela évoquait le regard d’un psychopathe sous psychotropes.
L’italien palpa machinalement sa gorge.
– Garçon, pour la énième fois, appelle-moi Dante ! Et je te remercie, mais je me porte comme un charme. Grâce à Lord Rochester, je découvre les joies de l’exercice au grand air, bien que je ne saisisse pas vraiment l’intérêt de suer et ahaner en dehors d’une chambre à c... il toussa pour étouffer la fin de sa phrase avant de formuler quelque chose de déplacé.
Il évitait le second degré avec Mark. Son expérience dans l’enseignement lui avait montré que les jeunes gens entraient vite en fascination avec lui. Or, il entretenait des rapports suffisamment complexes avec la mère du gamin, sans adjoindre une ambiguïté sexuelle avec son fils.
– Nous allons rentrer en marchant, continua-t-il, Lawrence affirme qu’il n’y a rien de tel pour évacuer l’acide lactique, je ne pige rien à ce charabia, mais je le crois sur parole.
Le majordome resta un instant à les fixer, comme s’il s’apprêtait à ajouter quelque chose, mais finalement il les salua et poursuivit sa route, soulevant un nuage de particules qui acheva ses poumons.
– Diantre ! s’exclama Lawrence en pliant sa jambe en arrière pour presser son talon contre ses fesses, « Monsieur Stefanagi par ci, Monsieur Stefagani par là ! » quelle dévotion !
– Pourquoi ? dit Dante en tirant sur sa manche pour essuyer son front. Il faut être malade pour déceler une figure paternelle en moi.
– Ce n’est pas la paternité qui l’attire dans ta « figure ».
– Hélas pour lui, je n’ai pas l’âme d’une Mrs Robinson. Avec Alex, j’ai fait une exception à la règle, mais je préfère déguster mes fruits mûrs.
La première réaction de Lawrence fut de répondre « moi aussi ». Il appréciait la compagnie de Sonia, pourtant, il devait avouer qu’il se demandait parfois ce qu’il fabriquait avec elle. Sa loyauté envers elle, le retint de s’épancher.  
– Apparemment, dit-il, Mark a déniché un camarade de jeu pour occuper son temps libre.
– Ah ça, répliqua Dante. Je parie qu’ils sortent tout droit de Brokeback Wood !    
Un sourire adorable éclaira les traits de Lawrence. Dante comprenait qu’Eve soit accro. Les mâles de la famille Linton étaient ardus à apprivoiser, mais leur personnalité complexe leur octroyait un charme irrésistible.
– Tant qu’ils ne reviennent pas de Bareback Wood.
Dante éclata de rire. « Bareback » signifiait « nu » et, surtout, « sans préservatifs ». Ce n’était pas tant la blague qui déclenchait son hilarité, mais son goût douteux, dans la bouche de Lawrence, Lord Étiquette par excellence. Eve lui aurait-elle déteint dessus ?
Lawrence s’étirait comme s’il n’avait rien dit et maintenant que Dante retrouvait une pression sanguine raisonnable, il se délecta de la scène qui s’offrait à lui. Qu’y avait-il de plus beau que la vision d’un quadriceps bandé ? Avec un peu d’aubaines, Lawrence relèverait bientôt son haut pour éponger son visage, selon son habitude. Dante paierait très, très cher pour le croquer nu avec ses fusains. Il gesticula à son tour pour ne pas se montrer en reste et pivota sur son axe. C’était à peu près les seuls mouvements autorisés par sa tenue.
– Puis-je te poser une question indiscrète ? s’enquit Lawrence.
– Sûr ! Et ne te fatigue pas, la réponse à ta question est également oui.
Lawrence haussa les sourcils.
– Oui, j’ai déjà essayé avec une femme. J’ai roulé un nombre de pelles incalculables durant mon adolescence. Dieu sait pas pourquoi, les filles aimaient s’entraîner sur moi. Je n’en récoltais pas de plaisir direct, mais j’en profitais pour les dessiner. Après, en fac d’art, j’ai couché avec une copine, par curiosité. Je voulais expérimenter ce qu’éprouvaient les artistes hétéros vis-à-vis de leurs muses.  
– Et alors ?
– Alors, c’était comme de manger des frites froides. On a la saveur, la satiété, mais ce n’est pas comme de les consommer chaudes et croustillantes. Cela dit, d’un point de vue purement esthétique, j’adore la vulve, avec ces entrelacs de plis mystérieux. Plastiquement parlant, c’est tellement complexe, par rapport à nous.
Lawrence esquiva une branche et leva le bras pour protéger Dante. Les arbres exhalaient la sève et Dante avait l’impression de ressentir physiquement l’énergie printanière qui montait dans les troncs.
– J’ignorais cette part bisexuelle chez Eve, ajouta Lawrence, abruptement.
Il s’efforçait d’afficher un air détaché, mais Dante savait que ces deux-là étaient passés à côté de leur histoire. 
– Eve n’est pas plus bi que Rock Hudson est hétéro, d’où sors-tu cette idée ?
Le souvenir de la soirée fatale lui revint en mémoire. Scott et Jema, cette gourgandine avait confié ce détail aussi. La malheureuse !
– Ok, c’est bon, j’ai pigé, dit-il. Eve n’est pas bi, mais voyeuse et exhibitionniste. Avec ces trios, elle satisfait ses deux penchants. Que le troisième mousquetaire soit une gonzesse ou un mec lui importe peu. Cependant, si tu m’autorises à émettre une opinion, ce qui s’est tramé ce soir-là n’avait rien à voir avec un besoin de s’amuser, ou de combler un manque. J’animais un cercle philosophique à la maison, et elle a trituré son portable toute la soirée dans l’espoir de recevoir un appel de toi.
– Mais quand que je téléphonais, elle écourtait systématiquement nos conversations comme si je la dérangeais.
– Tu ne m’apprends rien, c’est stupéfiant de constater comme vous autres, les hétéros, vous perdez votre sens commun quand vous tombez amoureux. Vous vous comportez comme des adolescents. Cette mascarade avec Scott et sa tourterelle traduisait un mécanisme de défense.
– Se défendre de quoi ? C’est moi qui me suis senti attaqué ! C’était déjà humiliant de découvrir que je ne lui suffisais pas, mais en plus, avec une femme... si elle m’en avait parlé, j’aurais compris... Qu’ai-je raté pour qu’elle ait si peu foi en moi ?
Dante demeura silencieux. Comment lui expliquer que la confiance, il lui en avait fallu, pour oser lui raconter la vérité, et qu’il ne s’était pas conduit en modèle de compassion ?
– Ce n’était pas personnel, enfin, je m’entends. Elle agit toujours comme ça, sous une forme ou sous une autre. Quand elle s’attache à quelqu’un, elle teste ses limites. Comme un aveugle qui tâte le mur. Cela sonne contradictoire, mais elle te repoussait pour s’assurer que tu ne disparaîtrais pas du jour au lendemain.
Lawrence ricana.
– Et bien, quelle réussite !
Les paroles de Dante provoquaient des vagues de nausée en lui. « Quand elle s’attache », « quand vous tombez amoureux » ? Ces mois consacrés à panser les plaies de son ego l’avaient persuadé de n’avoir été qu’un pion pour elle. Si elle lui avait livré ses sentiments, il aurait pu incarner cet homme, celui qui ne la rejetterait pas, qui l’accueillerait inconditionnellement. Le roc qu’elle attendait. Il aurait pu être cet homme, mais elle l’avait pris au dépourvu, il n’avait pas perçu ce qu’elle cherchait à lui exprimer, c’était trop tôt, il n’était pas prêt. Il stoppa pour faire face à Dante.
– Est-elle heureuse ? Avec ce théâtreux ?
Dante joua avec le col de son tee-shirt. La sueur qui l’avait détrempé était maintenant glacée et collait à son dos.
– Ça me coûte de l’admettre, mais il me semble que oui.
Lawrence acquiesça pensivement, en pinçant les lèvres.
– Soit, dit-il.
Ils reprirent leur marche en silence.    
                      

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