Jeudi 17 Août 2017
Le feuilleton de l'été est en ligne !
Tous les dimanches et tous les jeudi, suivez les aventures de GOOD LORD (Oh Lord ! Tome 3) avant sa parution.
Extrait 15
Montage Laure Elisac |
Dimanche 5 juin 2011, Eaton Place, Belgravia, Londres
Un calme dominical baignait le
quartier de Belgravia, composé pour moitié d’ambassades désertées pour le
week-end. À sept heures trente, Lawrence remonta Wilton Crescent à petite
foulée. L’oxygène qui pénétrait ses poumons était frais, mais pas suffisamment
pour qu’il frissonne. Après un printemps pluvieux, le mois de juin s’annonçait
radieux. Il tourna dans Wilton place, savourant les touches verdoyantes de
buissons, prélude aux pelouses de Hyde park. Les roues du vélo de Nejma flanquées
dans ses mollets lui manquaient, mais la petite dormait lorsqu’il avait quitté
la maison.
Atteignant Knightsbrigde, il ralentit
pour traverser la route. Les bus s’agglutinaient déjà le long du parc et jusqu’à
l’entrée de Hyde Park corner, mais la horde des touristes, moins matinale que
lui, se faisait attendre. Il gagna le trottoir d’en face et accéléra. Il ne
devait pas tarder s’il espérait surprendre Sonia en lui apportant les journaux
sur le plateau du petit déjeuner. Le journaliste du London Lane leur avait
assuré que son billet sortirait dans l’édition du dimanche. Il jeta un œil au
kiosque à journaux et résista à l’envie de sur le champ. Au lieu de cela, il se
joignit à la caravane des joggers franchissant les arcades du parc, drainés comme
des aimants par la promesse de l’air délicieusement saturé de chlorophylle.
Une heure plus tard, les jambes
essorées et le dos du tee-shirt maculé de brins d’herbe, qu’il s’approcha du stand
convoité. Il sélectionna le quotidien, puis parcourut le reste du présentoir.
Il y avait de nombreux professionnels lors de la soirée, mais il ignorait pour
qui ils travaillaient. Le StarSpy avec ses couleurs criardes attira son
attention. Il considérait le torchon comme l’anti-journal, et ne s'était jamais
abaissé à en feuilleter un exemplaire. Il en interdisait d’ailleurs la présence
dans la salle d’attente de son cabinet. Pourtant, la une lui sauta aux yeux :
le complet à rayures de Gerry s’étalait sur le papier glacé. Pour le reste, le
visage de l’acteur se nichait dans le cou d’Eve, et sa grosse paluche,
accrochée à la hanche de cette dernière, tirait un pan de robe qui dévoilait l’intégralité
de sa cuisse. Le titre bavait sur eux comme un rouge à lèvres bon marché :
Gerry Penholl et sa nouvelle « Easy Virtue ». Il régla le vendeur
avec dégoût et explora la suite de l’article en marchant. Ce qu’il découvrit
était encore plus navrant que la photo. Le cafard qui sévissait dans ces
colonnes, taxait Eve du sobriquet « Easy Adams » et sous-entendait qu’elle
offrait ses charmes à la star en échange d’une notoriété facile. En illustration,
apparaissaient des prises de vues de la soirée. Paniqué, il se chercha sur les tirages,
mais, apparemment, tenir compagnie à Nej sous la table avait été l’idée du
siècle. Il s’enquit également de son frère, et son costume de scène, mais pas
de trace non plus. Au moins, l’honneur de la famille était sauf. Le canard préférait
pointer les « célébrités » de la fête. On y voyait Rosa Furman et Crispin,
l’écrivain qui vivait à la communauté ainsi que la jolie blonde qui s’avérait
être la « très jeune » compagne de Malcolm Hurst, comme le soulignait
élégamment la légende. Inconsciente de l’objectif, Aline Rivière était en
grande conversation avec Dante. Tout, dans ce torchon, respirait la Comedia del
Arte. Sur la page de droite, un encart comparait la circonférence des poitrines
des conquêtes de Gerry, et le résultat pénalisait sévèrement Eve, surtout avec
ce décolleté à fronces. Un autre encart rappelait que Penholl était réputé pour
la taille de son gouvernail et qu’il fallait un permis bateau pour le manœuvrer.
Ces fines remarques s’accompagnaient de tweets interceptés entre l’actrice
Carolyn Kean et un mannequin slave au nom de marque de lessive. Réflexions de
bassecour en langage SMS sur le volume de son pénis, on touchait le fond. L’article
se terminait sur une dernière série de clichés montrant Penholl en maillot de
bain à différentes époques. Dans tous les cas, il semblait évident que, soit il
rangeait son trousseau de clefs dans son slip, soit il se trouvait
effectivement monté comme un... « Quoi de mieux qu’un porte-avion pour
faire décoller une carrière ? » concluait le pisse-copie, en
remettant une couche sur la réputation de coureur de Gerry, et celle de greluche
arriviste d’Eve. Tristement, aucune ligne n’abordait les qualités de la représentation.
Pire, Eve, enfin, « Easy Adams » était présentée comme « une des
comédiennes de la pièce » et non comme le metteur en scène. Elle allait
être furieuse.
Il plia le tabloïd et se hâta de rentrer,
pris d’un besoin urgent de se laver les mains.
Une heure plus tard, Lawrence sortait
de la salle d’eau quand Sonia, plongée dans la lecture du journal, leva les
yeux. Elle était déjà douchée à son retour du parc. Trop tard pour se délecter
de son corps tiède de sommeil. Il avait tout de même tenté de la prendre dans ses
bras, récoltant les chicanes habituelles. Sonia détestait qu’il la touche
lorsqu’il avait sué, et en ce qui le concernait, sa libido ne raffolait pas des
effluves de shampoing au jasmin.
– Oh la la, mon cœur, as-tu lu l’article ?
– Je l’ai survolé. Ces individus ne
possèdent aucune fierté.
– Eve sera folle de rage. La
pauvre. Les photos sont atroces, et le reporter la considère comme une Marie-couche-toi-là.
Elle s’interrompit pour secouer la
tête.
– Je serais incapable de retourner
travailler après un truc comme ça. De quoi aura-t-elle l’air lorsque Malcolm
Hurst annoncera qu’elle dirige la prochaine pièce de Gerry ? Les gens concluront
que le texte est vrai, qu’elle a décroché le job en fricotant avec lui.
Elle ajusta sa coiffure avant de
reprendre.
– En même temps, on ne peut pas
nier que cette liaison arrive à pic dans sa carrière.
– Tu ne suggères quand même pas qu’elle
a obtenu le poste grâce à ses liens avec Penholl !
– Connaître du monde, ça facilite l’entretien
d’embauche. Elle-même admet que c’est l’ex de son père qui les a branchés.
– Sonia, je la fréquentais encore
lorsque Penholl l’a contactée. La proposition n’avait rien de commun avec une
promotion canapé.
– Ah bon ? Je l’ignorais.
Elle pinça les lèvres et étudia la
page de droite.
– Elle ne doit pas s’ennuyer avec
lui. Tu as vu ces photos ? Mon dieu, ils le traitent comme un animal de cirque.
Je me demande comment les stars supportent cette traque incessante.
Elle rapprocha le journal et fronça
les sourcils.
– Tu crois qu’elles sont truquées ?
– Lâche donc ce torchon et
intéresse-toi au London Lane, ils ont publié un beau portrait de vous sur la
scène. Par chance, Alexander s’était changé, je doute que poser en travesti
serve à la renommée de Covington.
Sonia, les yeux toujours fixés sur
l’article, éclata de rire. Il attendit patiemment qu’elle partage la cause de
son hilarité.
– As-tu lu la légende sous la photo
de la copine de Malcolm Hurst qui discute avec Dante ?
– Vaguement, ils laissent entendre
qu’elle a l’âge de sa fille et qu’elle aime chasser le milliardaire avec son
amie « Easy Adams ».
– Non, après, quand le journaliste
a questionné Dante au sujet de son métier, cet idiot a répondu « pizzaïolo »
et l’autre l’a retranscrit !
Elle rit à nouveau.
– Imagine la tête d’Alexander, si à
la place il avait déclaré « Gigolo » ! Ces journaleux sont bêtes
à manger du foin.
– La vérité est le cadet de leurs
soucis.
– Enfin bon, dit-elle en reposant
le StarSpy, heureusement que je ne figure pas dedans, si l'on avait raconté sur
moi le quart de ce qu’ils ont déversé sur Eve, je mourrais de honte. Quand je
pense qu’elle va devoir affronter tout le monde aujourd’hui, et rejouer la
pièce, sachant que le public connaît l’article !
– J’espère que vous ferez preuve de
clémence, elle a besoin de votre soutien.
– Évidemment, on ne compte pas la
lapider. Mais est-ce de notre faute si elle s’est donnée en spectacle pendant
la soirée ? Personne ne l’a obligée à s’afficher avec Gerry comme une chatte
en chaleur. Et puis ce n’est pas non plus comme si sa réputation de coureuse tombait
du ciel.
– Seigneur, ce que tu te montres
dure avec elle !
– Et toi, tu prends
systématiquement sa défense. On est loin de l’oie blanche. Si ça se trouve, elle
est ravie de la situation. Elle a un côté exhibitionniste. Au moins, là, elle
est mise en avant
Lawrence entreprit de s'habiller, l'humeur belliqueuse de Sonia ayant achevé de refroidir ses ardeurs. Cet après-midi, il prévoyait d'assister à la deuxième et dernière représentation d'Easy virtue, et il espérait que le reste de la troupe manifesterait plus de loyauté envers Eve. Il comprenait que Sonia règle ses comptes, mais ne s'expliquait pas le plaisir que l'on retirait à frapper quelqu'un à terre.
Drayson mews, Kensington, Londres
Eve s’étira. Elle avait tellement
bougé pendant la nuit qu’elle se trouvait à l’autre bout du lit, et vu la
taille du matelas, ce n’était pas peu dire. Elle rampa jusqu’à Gerry pour se
blottir contre lui. Il dormait et ronflait comme un ours. Elle attrapa son bras
lourd comme une buche et le passa par-dessus son épaule afin de profiter de la
chaleur de son corps. Non pas qu’il fasse froid, mais elle se sentait souvent
fragile, au réveil. Gerry la serra vigoureusement contre lui.
Elle entendit la voisine ouvrir la
porte du garage et monter sur la pointe des pieds. Chaque matin, elle déposait
un thermos d’infusion et une pile de journaux. Cette femme se dévouait à la
cause de Gerry comme les anciennes nourrices dans les romans victoriens. Peu de
monde pénétrait dans le sanctuaire de l’acteur. Sa famille, et une poignée
d’amis. Ses coups d’un soir, elles, avaient rarement le temps de déterminer la
couleur des murs.
Le mécanisme de la porte du garage
se referma, la tirant de sa torpeur. Elle se dégagea pour s’enquérir des périodiques
et rapporta la liasse sur le lit. Elle compta le London Lane, le Sunday
Telegraph, The Observer et trois gazettes à scandale que Gerry chérissait. Le voir
lire la presse constituait un spectacle en soi. Il commençait avec le Sunday
Telegraph et l’Observer, ponctuant sa lecture de multiples grognements,
réprobateurs ou victorieux. Souvent, il appelait son frère Roger pour échanger
avec lui une nouvelle série de grognements, tout en avalant le litre d’infusion
préparé selon une recette d’Aline, un machin à base de sauge. Puis venaient les
tabloïds, son péché mignon. Là, les grommellements se transformaient en éclats
de rire ou en gloussement moqueurs. Il se délectait des ragots, peu lui
importait que ce soit lui ou ses comparses qui en fassent les frais. Et il
adorait se contempler en photo.
Le téléphone d’Eve sonna dans son
sac. Elle mit du temps à le localiser, car il gisait sous sa robe laissée sur
le sol la veille, à l’endroit où elle s’était déshabillée. Gerry bougonna un
truc contre le tapage nocturne et ramena un oreiller sur son visage.
– C’est Matt, dit-elle, surprise,
en découvrant le nom de son père qui s’affichait sur l’écran.
Elle trouva également deux messages
en attente de Dante, un d’Alex et un d’Aline. Eh bien ! se dit-elle, soit les
articles sont dithyrambiques, soit ils sont à chier. Mais elle s’en fichait. Ils
avaient fait du bon boulot et même une fournée de critiques grincheuses ne
parviendra pas à lui gâcher sa journée.
Elle s’éclipsa dans le salon et
décrocha.
À son retour dans la chambre, Gerry
était réveillé, mais son visage portait les traces de l’oreiller sur la joue.
Il avait attaqué les journaux, sauf que cette fois il avait commencé par le
StarSpy, qu’il tenait posé sur ses genoux pour masquer la couverture. Précaution
inutile, Matt venait de lui décrire le texte et les images en détail.
– Je suis désolé, Bébé, j'ignorais
qu’ils utiliseraient ces clichés ! Je pensais qu’ils s’intéresseraient un
peu à la pièce.
Elle se tint au pied du lit, où
Gerry avait abandonné les autres journaux pour récupérer le torchon, parce qu’il
savait pertinemment lequel parlerait d’eux.
– Est-ce vrai ? C’est toi qui
les a appelés ?
Il ferma le journal et le plia en
quatre.
– Je te jure que je ne leur ai pas
téléphoné. Cela se passe tous les jours dans notre milieu, ne le prends pas
personnellement. Tout sera oublié à parution du prochain numéro.
– C’est faux. Cette réputation me
collera au cul. Chaque fois qu’on citera mon nom, ils ressortiront les photos, sans
parler de ce surnom d’Easy Adams ! Matt affirme que si ce n’est pas toi, c’est
ton agent. Tom s’est chargé de lâcher le morceau, hein ? Et en échange de
l’info, ils ont accepté de laisser Malcolm de côté.
Même en prononçant ces mots à haute
voix elle n’arrivait pas à le croire. Comment avait-il pu monter ce coup,
sachant que les journalistes la réduiraient en charpie ?
Gerry pivota pour s’asseoir au bord
du matelas et attrapa une bouteille d’eau qu’il vida d’une traite.
– Peut-on se mettre un truc sous la
dent avant de poursuivre cette conversation ?
– Tu m’as trahie, Gerry !
Comment as-tu pu…
Il se leva. Il n’était pas grand, mais
massif. Lorsqu’il la prit dans ses bras, elle disparut en partie.
– C’est le métier qui rentre, Bébé.
Ça ne sert à rien de lutter. C’est comme le surf, il faut glisser sur la vague.
– Sauf que, moi, je ne possède pas
de planche et que je bois la tasse sévèrement.
Il la serra plus fort. Il sentait
la nuit et la transpiration, mais ce n’était pas ce qui la faisait suffoquer.
– J’ignorais qu’ils iraient si
loin. Je t’en supplie, ne boude pas.
– Bouder ? C’est tout ce qui t’inquiète ?
Elle se libéra et se rendit dans la
cuisine, en quête d’occupation. Elle ouvrit un sac de pain de mie et disposa
les tranches sous le grill. Il la suivit sans se soucier d’enfiler un peignoir,
et se percha sur un tabouret, les coudes en appui sur la tablette du bar
américain.
– Mon père m’a demandé de t’avertir
que si tu tenais à tes couilles, évite les abords de la communauté ces dix
prochaines années.
– Il exagère. C’est uniquement de
la publicité. Bonne ou mauvaise pub, c’est toujours…
– De la merde, Gerry. Ton
nombrilisme est tel que tu vendrais ta mère pour paraître à la une et, d’ailleurs,
tu viens de vendre ta petite amie. Que dois-je en conclure ?
– Que tu vaux plus que ma propre
mère ? Allez, avoue que sur les photos, on forme un beau couple.
Il se gratta le cou. Sa barbe du
matin le dotait d’un halo châtain, qui, allié à son nez cassé, lui conférait
des airs de baroudeur. En d’autres circonstances, elle l’aurait trouvé sexy.
– Bébé, j’ai déconné. Demain, je
demande à Tom de contacter le journal pour organiser un reportage ici, dans
l’appartement. On posera tous les deux sur le canapé, ils adorent montrer la
déco, et j’expliquerai comment on s’est rencontrés et comment Malcolm Hurst t’a
engagée avant qu’on ne sorte ensemble. Regarde le positif, au moins, maintenant,
plus besoin de se cacher ! Et si on posait sur la moto ?
Eve le contempla, médusée. Il était
complètement fou, cette interview ajouterait de l’huile sur le feu. À coup sûr,
les journalistes se régaleraient d’apprendre qu’il l’avait connue enfant, distillant
des relents d’inceste pédophile à la situation. Quoi qu’ils racontent, leurs
paroles seront tournées à leur désavantage.
Elle réunit les toasts sur une
assiette devant eux, et les tartina de Marmite.
– Je t’interdis de jeter Matt et
les membres de la communauté en pâture, dit-elle en lui tendant un toast. Pour
l’instant, on garde le statu quo. C’est de ma faute si je t’ai fait confiance,
j’aurais dû me douter que tu ne résisterais pas au plaisir d’attirer
l’attention.
Dante l’avait mise en garde si
souvent ! Même son père, pourtant un fidèle partisan de Gerry, l’avait
prévenue, que se fier à lui, c’était monter dans une barque trouée. Cet article
en annonçait d’autres, bien juteux, qui accompagneraient la sortie de la pièce
de Malcolm. Tom, Malcolm, Gerry, qu’en avaient-ils à foutre, si sa carrière se
terminait avant d’avoir commencé ?
– À quelle heure débute la représentation,
cet après-midi ? s’enquit Gerry en piochant une deuxième tranche qu’Eve
continuait à garnir d’un geste machinal.
Elle était tellement absorbée par
ses pensées qu’elle n’allait pas tarder à tartiner sa propre main.
– Parce que tu crois qu’ils vont
revenir ?
– Non, pas d’inquiétude, Tom a
convenu avec eux que…
Il s’arrêta, venant de se trahir.
– OK Bébé, si tu préfères, je
resterai là et je vous rejoindrai seulement après la pièce. Qu’avez-vous prévu
pour fêter la quille ?
– Ils n’abordent même pas la mise
en scène ! Tout ce qui les intéresse, c’est la taille de mes seins, qui
visiblement, est inversement proportionnelle à celle de ta bite, putain !
Remarque, le type qui écrit a de l’humour. Il m’amuserait, si je ne me sentais
pas aussi humiliée.
Gerry contourna le bar pour la
cajoler.
– Je suis désolé Bébé. Tu étais
stupéfiante dans cette robe, ne les laisses pas t’atteindre.
Comme si son allure la préoccupait !
C’était son avenir qu’il avait mis en danger, pas son amour propre.
– Bon, dit-elle en se dégageant. File-moi
cette feuille de chou, que je juge par moi-même.
Il protesta sans conviction. Pour
un acteur, il dissimulait mal l’excitation que ce buzz provoquait chez lui. Il
était en couverture et son nom s’étalait en page centrale ! Eve voulait
des détails, elle ne fut pas déçue. Le rédacteur en chef ne pleurait pas le
budget couleur. Rien que les motifs de sa robe avaient dû leur coûter bonbon à
imprimer. Elle préféra attendre avant de se plonger dans la partie rédigée, ses
yeux tombèrent sur les illustrations de la page de droite et le cheptel de ses
ex : comédiennes et mannequins à côté de qui elle passait pour une tuberculeuse.
Le dernier cliché se révélait particulièrement cruel. On l’y comparait à
Carolyn Kean, toute en nichons et peau dorée comme un poulet rôti. Personne ne
précisait qu’elle appliquait du fond de teint sur ses jambes !
Elle délaissa le journal et s’assit
sur le lit, abattue.
– Quand on regarde ces photos, on
se demande ce que tu fabriques avec moi.
Il s'installa à côté d’elle et
profita de cet instant de faiblesse pour la peloter.
– Tu n’es pas sérieuse, Bébé. Elles
ne t’arrivent pas à la cheville.
En l’occurrence, c’était l’inverse,
leurs jambes lui arrivaient au sternum.
– Pourquoi as-tu rompu avec Carolyn ?
D’après l’article, tu es resté longtemps avec elle.
– Je sortais avec elle quand elle a
reçu le Baffa, puis elle a enchaîné avec le festival de Cannes, l’effervescence
était excitante. Hélas, au pieu, c’est un glaçon. Baiser avec elle me donnait
l’impression de grimper l’Everest. Et puis, notre histoire était condamnée d’avance,
elle a le pied grec.
– Le pied... tu te fous de moi ?
– Jamais de la vie ! Tu sais
comme c’est important pour moi. Ses pieds étaient comme des spatules. Je peux
pardonner beaucoup à une femme, mais elle, ses pieds étaient tout juste bons à
jouer au flipper.
Eve secoua la tête. Ce mec était
impayable, il avait presque réussi à la dérider.
– Et moi ? Ils sont bons à
quoi, les miens ?
Il s’agenouilla devant elle et en saisit
un qu’il plaça sur sa cuisse comme s’il tenait un bijou.
– Toi, vois-tu, dit-il en les
effleurant, tu appartiens au type romain, ce n’est pas le plus gracieux parce
qu’il est compact et carré, et tes orteils sont dodus comme des vers à soie,
mais ton atout, c’est la couleur de ta peau, et l’adorable veine, là, dit-il en
suivant une arabesque bleutée qui remontait vers sa malléole. J’aime ta carnation
claire, et j’aime également quand tu utilises du vernis, mais pas ce vert
atroce. Celui-là, plus jamais, d’accord ?
Il porta son pied à sa bouche et
posa ses lèvres sur le bout des orteils, dardant sa langue dans le creux
arrière, sous les coussinets.
Eve avait découvert qu’ils
abritaient une multitude de mini-clitoris.
– Si tu me laisses le temps de
pisser, dit-il, je t’offrirai un massage qui te montrera en profondeur comme on
s’entend bien, tes petons et moi.
– OK, tu as gagné. Mais si tu recommences
tes frasques…
Elle agrippa son menton pour
l’obliger la regarder dans les yeux.
– Écoute-moi attentivement, Gerry,
je te préviens : si tu me trahis à nouveau, ce sera fini entre nous.
Il se leva avec un sourire triomphant.
– Promis Bébé. Donne-moi cinq
minutes pour la vidange, et profites-en pour remettre tes chaussures à talon. Je
te jure que tu vas oublier jusqu’à ton prénom
S'il réussissait à lui faire oublier son surnom, ce ne serait déjà pas mal, songea-t-elle en l'observant tandis qu'il disparaissait dans la salle de bain.
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