Dimanche 23 juillet 2017
Le feuilleton de l'été :
Tous les dimanches et tous les jeudi, suivez les aventures de GOOD LORD (Oh Lord ! Tome 3) avant sa parution.
Extrait 9
Samedi 21 mai 2011, Hyde Park
Le samedi de la semaine suivante,
Lawrence était toujours sans nouvelles de Sonia. Que la jeune femme le snob
pendant la semaine ne l’atteignait pas, avec son rythme à l’hôpital il s’en
rendait à peine compte, mais gâcher encore un week-end ? Elle exagérait.
Heureusement, elle ne pourrait pas se cacher longtemps, car ils étaient conviés
au restaurant le soir même. Nigel, le compagnon de Noah, et accessoirement
l’architecte responsable des travaux de Covington, les invitait avec Dante et
Alexander pour fêter l’achèvement de la première partie des rénovations. Il se
demanda comment elle prévoyait de gérer la situation. Les rejoindra-t-elle au
restaurant, agissant comme si de rien n’était ? Ou le plantera-t-elle en
le laissant se débrouiller avec les questions indiscrètes que Noah ne manquera
pas de poser ? Comment savoir ? Parfois, elle se montrait d’une
naïveté délicieuse et d’autre fois, d’un cynisme féroce. Il descendit les
étages de la maison silencieuse, profitant de l’heure matinale pour faire son
footing, et devina à l’odeur âpre de thé vert qui s’échappait de la cuisine que
Spencer était réveillé. Lui-même n’avait pris que de l’eau, il aimait courir à
jeun.
– Nej ? dit-il, surpris, en
tombant littéralement sur la gamine.
Fichée sur son vélo, elle montait
la garde au pied de l’escalier. Que fabriquait-elle debout aux aurores, un
samedi matin ? Et sur cet engin ? Lawrence lui avait offert la
veille. Dire qu’il avait hésité avec une poupée !
Spencer arriva à cet instant, et se
répandit en justifications et regrets auprès de Lawrence et de menaces auprès
de Nejma, qui s’entêtait à bloquer maintenant la porte d’entrée. Elle comptait
accompagner Lawrence au parc. Nouvelles excuses de Spencer. Lawrence s’efforçait
d’en trouver une lui aussi, pour se débarrasser du petit démon.
– Je ne vais pas au parc pour m’amuser,
mais pour courir, c’est ennuyeux et monotone, et une fois là-bas, ne t’avise
pas de réclamer une pause, si tu es fatiguée.
– Monsieur n’est pas obligé.
Spencer tira Nejma par le bras au
risque de la flanquer à terre.
– Viens ici, je t’ai dit que je ne
voulais pas que tu rentres avec cette machine dans la maison !
– Ça roule pas dans l’herbe !
– Nejma, gronda-t-il.
– D’accord, intervint Lawrence, faisons
un test, pour cette fois. Mais tu ne quittes pas le trottoir sans mon
autorisation, et tu traverses à pied, en me donnant la main, tu as
compris ?
Il lui fit reformuler les consignes
et Spencer s’éclipsa pour rapporter un minuscule sac à dos garni d’une pomme et
d’une mini bouteille d’eau.
– Je suis vraiment désolé, Milord,
elle a échappé à mon attention. Je ne sais pas quoi faire d’elle.
Le désespoir provoquait un tic au
coin de ses lèvres. On lisait également le poids de l’échec sur ses épaules, et
la fatigue de s’estimer sans cesse redevable à Lawrence. Ce dernier chercha
comment l’aider à restaurer sa dignité.
– Avant que j’oublie, dit-il avec
tact, j’ai remarqué que l’eau ne s’écoulait pas clairement dans la douche, mais
impossible de dévisser le siphon, pourriez-vous jeter un œil pendant mon footing ?
– Bien entendu, ce sera réglé dans
l’heure, Monsieur.
– Parfait, alors en route.
À bon pas, Hyde parc se situait à dix minutes de l’appartement. Sitôt dehors, Nejma s’activa comme un diable. Sans ses cheveux retenus par une barrette à paillettes, Lawrence oublierait presque qu’il se promenait avec une fillette. En l’occurrence, il n’était pas là pour se promener. Il s’élança à petites foulées.
Dans le parc, Nej aperçut un groupe
de canards qui couvaient une portée nouvellement éclose. Elle stoppa son deux
roues et les pointa du doigt.
– Regarde, s’exclama-t-elle, des poulets !
– Ce sont des « ducks »,
corrigea-t-il
– Et les bébés ?
– « Ducklings » dit-il,
sans ralentir son allure.
Elle reprit sa bécane et le dépassa.
À chaque intersection elle se retournait pour l’attendre et selon l’état de son
souffle, il lui répondait « right » ou « left », ou lui indiquait
de la tête, au final, c’est elle qui donnait l’impression de le traîner.
Après une demi-heure d’exploration,
elle revint pédaler près de lui.
– Tonton Milord ?
– Humm ?
– Ils sont où tes enfants ?
– Mes enfants ?
Il n’était pas sûr d’avoir entendu
correctement. Le sang bourdonnait à ses oreilles sous le coup de l’effort et le
bruit des graviers sous les pneus du vélo couvrait la voix fluette de Nejma.
– Mon papi dit que les gens qu’ont
pas d’enfants y sont égoïstes et y vont mourir tout seuls.
– Charmant.
– Ils sont où les tiens ?
Est-ce que tu les as renvoyés ?
Elle slalomait, risquant à chaque
seconde de ficher ses roues dans les jambes de Lawrence. Sa dextérité le
surprenait.
– Je n’ai renvoyé personne, je suis
un de ces égoïstes condamnés à mourir tout seul.
– Eh ben moi, je resterai avec toi
pour toujours, Tonton Milord.
Lawrence ne put retenir un sourire.
– J’espère bien que non !
Enfin, rectifia-t-il devant sa mine renfrognée, j’espère que quand tu grandiras,
tu rencontreras quelqu’un de spécial que tu chériras, et avec qui tu
habiteras.
– Comme toi et papa Ewan ?
Cette fois, Lawrence éclata de rire
et dut interrompre sa course. Jusqu’à quel degré un enfant de cinq ans
maîtrisait-il l’ironie ? Nejma le contemplait avec contentement. Elle
était rusée, ça, c’était certain. Elle se remit en route et il la suivit.
– Tonton Milord, c’est trop
cérémonieux. Pourquoi ne veux-tu pas m’appeler Tonton Lawrence, puisque tu
t’obstines à garder le « Tonton » ?
Elle répéta le nom laborieusement, c’était
long, lui-même le remarquait.
– Et pourquoi pas Tonton Larry ?
Elle pouffa avec espièglerie.
– Laurie, c’est pour les
filles !
– Pas Laurie, LARRY. C’est le
diminutif de Lawrence.
– Lawrence aussi, c’est pour les
filles.
– Pas chez nous.
– Tonton Lolo, dit-elle brusquement.
Elle rit, ce qui s’approchait de la
toux d’un tuberculeux qui aurait avalé du papier de verre. Il protesta,
alléguant que cela manquait d’élégance, mais elle partit comme une fusée en
chantant à tue-tête :
– Tonton Lolo, Tonton Lolo, Tonton
Lolo...
Il continua sa course. Assurément,
ce surnom sonnait pire que l’ancien. Mais il passait un bon moment. La présence
de Nej, loin de lui peser, le distrayait. Il décelait de l’intelligence dans ce
corps frêle, et beaucoup de caractère, encore fallait-il qu’elle utilise l’un
et l’autre à bon escient. Lorsqu’il s’allongea entre deux arbres pour s’étirer,
elle se vautra à côté de lui et sortit la pomme et la bouteille. À la moitié du
fruit, elle insista pour le partager avec lui et fit de même avec sa boisson. Il
l’observa pendant qu’elle-même avait le nez collé sur la tige d’une fleur de
trèfle qu’un moucheron courtisait. Soudain, l’insecte envolé, la petite coupa
la fleur, et tira sur les pistils pour les porter à sa bouche.
– Nej, non ! s’écria Lawrence.
Elle le fixa une seconde, sans saisir
le sujet de l’interdiction, puis elle suçota les pétales en attendant plus
d’explications.
– Tu ne dois pas manger des
végétaux à l’état sauvage, certaines plantes sont des poisons.
– Mais pas les fleurs à bonbon,
goûte, répondit-elle en lui tendant la fleur à moitié plumée par ses petits doigts
crasseux.
– Quand bien même, c’est sale. Peut-être
que des chiens, ou même des canards, se sont soulagés sur cette pelouse.
Elle l’examina, comme fascinée par
l’étendue de sa stupidité. Il fallait dire qu’un merveilleux parfum d’herbe et
de terre montait du sol, des brindilles lui piquaient agréablement les mollets,
une brise caressait sa nuque, et il n’y avait pas un chien ou un volatile en
vue.
– Tu as gagné, je suis un imbécile.
Montre-moi comment ça fonctionne.
Elle lui choisit une grosse boulle
violette et lui apprit à extirper les pistils pour en sucer la racine. Les
pétales avaient un léger goût de saccharose. L’opération se révélait néanmoins
laborieuse, quand on avait des mains de sa taille et une bouche en rapport,
mais il comprenait que pour Nej cela représente un trésor. La nature généreuse
nourrissait leur gourmandise et leur procurait une nouvelle source jeu. Ils s’amusèrent à débusquer les pelotes
mauves, parfois en concurrence avec les abeilles, réveillées par la promesse du
parfum suave.
De retour à Belgravia, il prit une
douche fraîche, se surprenant à chantonner un air aussi léger que son humeur. Si
Sonia projetait de le punir en le condamnant à un week-end en solitaire, elle
le connaissait mal. Il se rendit dans la salle à manger pour s’adonner à l’une
de ses activités préférées du samedi : savourer la lecture du journal tout
en sirotant son thé. Lorsqu’il pénétra dans la pièce, le parfum épicé du Kedgeree,
commandé à son majordome pour accompagner ses œufs brouillés, chatouilla les
narines.
– Salut.
Sonia se tenait appuyée contre le
buffet.
– Spencer m’a fait entrer, précisa-t-elle,
mal à l’aise.
– C’est une bonne surprise, dit-il
en s’avançant.
Elle le rejoignit et posa un baiser
sur ses lèvres. Elle sentait la crème de jour au jasmin. Sa peau était satinée.
Il appuya le baiser et, en quelques minutes, ils se retrouvèrent enlacés au
milieu de la salle à manger. Il empoigna ses seins avec précipitation,
conscient qu’ils risquaient d’être dérangés d’une seconde à l’autre. D’ailleurs,
il percevait comme une présence. Il rompit l’étreinte et découvrit Nej, qui les
observait du pas de la porte, comme elle avait contemplé les insectes du parc.
Elle agrippait une liasse de
dessins. Spencer lui avait offert des craies grasses sur les conseils d’une
vendeuse sadique : Nej étalait les craies en couches épaisses et collantes,
qui s’incrustaient sous ses ongles. Ce matin, elle laissait des empreintes
vertes un peu partout sur les papiers qu’elle maintenait devant elle. Il préféra
ignorer l’état de la porte.
– Nejma, te souviens-tu de Sonia ?
Sonia s’accroupit et lui tendit la
main. La fillette la saisit, et Sonia la secoua sans la serrer. Lorsqu’elle se
releva, elle s’essuya discrètement dans une serviette posée sur le vaisselier.
– Nejma ! s’exclama Spencer en
arrivant dans la pièce. Pas pendant le petit déjeuner de Milord ! Combien
de fois faudra-t-il te le dire ! Retourne immédiatement dans la cuisine.
Le visage de la petite s’assombrit
et son nez se plissa, mais, par miracle, elle obtempéra. Sonia et Lawrence s’installèrent
pendant que Spencer ajoutait un couvert devant la nouvelle arrivée. Lawrence
déplia sa serviette et repoussa le périodique et ses lunettes de lecture que
Spencer avait déposés, à côté de son assiette.
– On dirait que votre fille a
progressé, dit gentiment Sonia au majordome.
– Disons qu’elle se montre plus agréable,
du moment que nous cédons à ses caprices.
Il versa le thé vert dans leur
tasse.
– Vous exagérez Spencer, intervint
Lawrence en cherchant son étui à lunettes. Regardez comme elle a obéi à l’instant.
– Certes. Si Milord le permet,
puis-je préciser à Miss Sonia que nous avons du Kedgeree au menu, avec des œufs
brouillés, des toasts, des tranches de tomates et champignons grillés. Miss désire-t-elle
quelque chose d’autre pour agrémenter son petit déjeuner ?
Sonia déclina son offre en tapotant
son ventre parfaitement plat, comme si l’énumération des plats avait achevé de
la sustenter. Spencer se retira.
– As-tu remarqué ce tic au coin de
sa lèvre ? chuchota-t-elle, après son départ. Depuis quand est-il
apparu ? Le pauvre, on dirait qu’il essaie de sourire après une anesthésie
chez le dentiste. Veux-tu que je me renseigne auprès des collègues ?
– Merci pour ta gentillesse, mais
Ewan souffre principalement de pessimisme. Si tu avais vu Nej, tout à l’heure,
au parc, elle était adorable. Je crois qu’on a passé un cap avec elle. Il pivota
vers le buffet en fronçant les sourcils.
– Tu as perdu quelque chose ?
– Seulement égaré, j’espère. Mon
étui à lunettes, Spencer le range toujours à côté du journal.
Il marqua une pause. Évidemment, il
savait où se trouvait l’étui. Voilà pourquoi Nej avait quitté les lieux de
bonne grâce.
– Peut-être qu’il l’a oublié dans
ton bureau, dit Sonia.
– Sans doute. Mais peu importe.
Parle-moi de toi. As-tu transmis à tes responsables le dossier plagié ?
Elle fit la moue. Lorsqu’elle avait
toqué chez le directeur de département avec les documents sous le bras,
l’accueil avait été froid, ce dernier se préoccupant essentiellement du truchement
par lequel elle détenait la thèse d’un condisciple. Comme elle refusait d’incriminer
sa collègue qui l’avait photocopié illégalement, c’était maintenant le Doyen en
personne qui souhaitait la recevoir pour clarifier la situation. Comme si cela
ne suffisait pas, par peur des représailles, la camarade qui lui avait fourni le
mémoire avait remonté les autres étudiants contre elle. Le groupe traitait le
plagiaire en victime et elle en voleuse. Certains ne lui adressaient plus la
parole et d’autres troquaient leur place lorsqu’elle s’installait à côté d’eux,
faisant de ses cours un enfer.
– Pourquoi n’as-tu pas appelé ?
Miao, je t’aurai rejointe.
Elle lui lança un regard à la
Bambi.
– Et bien, je ne peux pas dire que
tu ne m’avais pas prévenue, alors…
– Miao, ma chérie, as-tu donc si
peu confiance en moi ? Je me fiche d’avoir raison, en l’occurrence, je
préfèrerais avoir tort, crois-moi. Mais quand tu rencontres des difficultés,
j’aimerais que tu te tournes vers moi.
– Je suis outrée de la façon dont l’affaire
a évolué. Enfin, comment est-ce possible ? C’est lui qui a fraudé, mais c’est
moi qu’on regarde comme une criminelle ! N’existe-t-il personne d’intègre
dans cette société ?
– Je vais donner quelques coups de
fil. Je n’ai pas d’accointance avec ton doyen, mais nous possédons forcément des
relations communes.
– Je n’ose plus rien tenter,
tellement je crains d’aggraver mon cas, dit-elle, aigrie. Je ne digère pas l’idée
que cet escroc s’en tire sans désagréments, et ils sont fichus de valider ses
examens pour ne pas avoir à reconnaître leur responsabilité. Je suis écœurée.
Elle resserra sa queue de cheval et
lissa ses tempes.
– Ne t’inquiète pas, ils te mettent
la pression pour que tu étouffes l’histoire, mais ils bluffent, ils ne s’exposeront
pas à un scandale en te saquant. Je te garantis que la première personne qu’ils
ont consultée, c’est le juriste de l’université. Ils seront soulagés de te voir
partir avec ton diplôme en poche.
– Joli monde. C’était aussi tordu à
ton époque, la fac de médecine ?
– Tu n’imagines pas. Les coups bas
étaient quotidiens, si tu oubliais tes cours dans un amphi ils disparaissaient,
sans parler des livres de la bibliothèque, retenus en avance, uniquement pour saboter
ton travail.
– C’est odieux. Comment fais-tu
pour réagir avec autant de flegme ?
– Je ne me bats pas contre ce que
je suis impuissant à changer. Tu n’empêcheras jamais les gens corrompus d’être
attirés par les noyaux de pouvoirs, tu n’empêcheras pas les gens souffrants d’être
fourbes.
– C’est fou, je n’aurais jamais pensé
entendre ces propos défaitistes dans ta bouche, moi qui te prenais pour un
homme de convictions.
– C’est une question d’expérience
et de maturité. Hélas, tu en verras d’autres dans ta vie.
Il initia un contact, son ton se
fit cajoleur.
– Nejma nous a interrompus en
pleines retrouvailles.
– Je n’ai pas la tête à ça,
maugréa-t-elle. Vous, les hommes, vous êtes tous pareils. Tout ce qui vous
intéresse, c’est de nous dominer. Professionnellement ou au lit, c’est idem,
vous ne songez qu’à nous sauter.
Lawrence jeta un œil en direction
de la porte, heureusement, Spencer l’avait fermée derrière lui.
– Je ne mérite pas cette
accusation, et je te trouve malhonnête de diriger ta colère contre moi.
Sonia détourna les yeux.
– Désolée, marmonna-t-elle.
Excuse-moi. Tout cela m’a rendu sensible. Oh, et puis, je commence mon stage de
fin d’année dans 10 jours, la première de la pièce est début juin et on n’est
pas prêts, Eve pousse des gueulantes pour un rien. Depuis qu’elle travaille
avec Hurst, elle se prend pour un vrai metteur en scène. Elle pique des crises
parce qu’on ne maîtrise pas notre texte, elle considère qu’on n’a que ça à
faire, de vivre pour son théâtre. Si ce n’était pas par loyauté envers Alex et
Noah, j’aurais démissionné depuis longtemps, ce qui lui aurait donné une bonne
leçon.
– Approche, dit Lawrence en reculant
sa chaise pour l’inviter sur ses genoux.
Elle s’exécuta. Il glissa un bras
autour de ses épaules et lui caressa les cheveux.
– Avalons notre petit déjeuner - je
suis sûr que tu as grignoté comme un moineau ces derniers jours - et quand nous
aurons terminé ici, je te propose de monter dans la chambre, nous éclaircir les
idées.
– Tu estimes sérieusement que tout se
résout par le sexe ?
Lawrence goûta l’ironie de la
situation, car c’était exactement ce qu’il reprochait à Eve.
– Eh bien, l’orgasme garantit une
oxygénation complète des cellules et ipso facto du cerveau, ce qui lui permet
de raisonner rapidement et de développer la partie liée à la créativité. De
plus, la charge d’endorphines influence tes choix positivement, alors oui, le
sexe peut constituer une solution. Tu garderas tes problèmes, mais il t’aidera
à les aborder différemment. Or, toi, tu as un énorme souci, je me demande si l'on
ne devrait pas attaquer tout de suite.
Sonia joua avec les boutons de sa
chemise.
– Je me doutais qu’il fallait éviter
d’argumenter avec un scientifique.
– Et là, il ne s’agissait que du
cours théorique.
– Un cours magistral, en vérité.
– Attends d’accéder aux travaux
pratiques.
– Avec un examen en prime ?
– Pour toi ? Trois fois rien,
juste un oral. Et tu sais quoi ? Le Kedgeree se consomme chaud comme
froid.
Sonia se libéra pour regagner son
siège.
– Pas question. Que s’imaginerait
Spencer ? Je t’ai connu plus soucieux des convenances.
Il se leva, résigné, et souleva les
cloches des plats.
– Tu as raison, du reste, le
carburant améliorera mes performances.
– Je n’ai pas dit que j’étais d’accord
pour te suivre à l’étage, minauda-t-elle.
Lawrence déposa une assiette garnie
devant elle.
– La sous-nutrition a endommagé ton
cerveau, ton centre de décision dysfonctionne, écoute ton médecin, surtout s’il
est neurologue, il sait ce qui est bon pour toi.
– Tu ne penses vraiment qu’à ça !
Il éloigna sa couette pour l’embrasser
sur la nuque.
– Ce serait difficile de réfléchir
à autre chose en si belle compagnie.
Elle se tortilla pour se soustraire,
mais un gloussement lui échappa. Il réitéra la manœuvre. Chaque femme se
conformait à une mécanique intime, et une fois que l’on avait déchiffré son
processus, il suffisait d’appliquer la recette. Persévérance et fermeté constituaient
les clefs qui ouvraient les portes du royaume de Sonia.
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